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L’identité sociale comme raison d’agir

Conférence prononcée dans le cadre du colloque Tâches actuelles et enjeux d’une philosophie des normes, organisé par Marc Maesschalck au Centre de philosophie du Droit, Univ. de Louvain la Neuve, in Éthique et gouvernance, Les enjeux actuels d'une philosophie des normes, M. Maesschalck (dir.), Olms, Hildesheim/Zürich/New York, 2009, pp. 77-91.Texte intégral.

 

Identité et participation

Ma contribution au colloque « Tâches actuelles et enjeux d’une philosophie des normes » débattra de la gouvernance, de la démocratie participative et de l’appropriation démocratique des mécanismes institutionnels. Il m’a semblé qu’en soulignant la dimension d’appropriation, l’enjeu s’orientait certes vers les aspects démocratiques de la gouvernance que j’appellerai plutôt, en ce sens, participation, et cela en interrogeant l’engagement des acteurs, engagement qui seul peut garantir la normativité effective des règles communes – si l’on veut bien m’accorder que de la règle, ou de la loi, à la norme, il y a une appropriation comme intériorisation de la règle par ceux qui doivent y obéir. Il m’a aussi semblé que l’on pouvait radicaliser le point de vue de la participation en interrogeant les modalités de ce processus d’appropriation en abordant la question de la mobilisation des acteurs. J’ai donc décidé de vous parler des rapports entre identité et démocratie participative, au sens où l’identité mise en jeu par les acteurs politiques – identité convoquée ou revendiquée –, est tout à la fois principe d’intériorisation des règles et de mobilisation des acteurs. Mais en tant que telle la double face de l’identité – revendiquée ou convoquée – est aussi la raison des impasses ou des questions répétées que rencontrent les processus participatifs.

La confrontation entre identité et participation met face à face deux tensions analogues pour chacune des deux notions. La participation tout d’abord retient une tension, commentée depuis Elster[1], entre une pratique de la représentation renforçant sa dimension démocratique d’une part (le forum), et une négociation qui peut être sociale mais relève de pratiques et d’intérêts commerciaux d’autre part (le marché). De ce fait et à la suite de Loïc Blondiaux et Yves Sintomer[2], je distinguerai la démocratie participative d’une part et la gouvernance de l’autre, en tant que cette dernière ne se soucie pas proprement des aspects démocratiques, par exemple du fait que les interactions doivent être publiques pour être légitimes, ou que de simples citoyens soient impliqués comme tels. Je restreins ici le sens de gouvernance à cette dimension moins démocratique de la participation.

A cette tension entre démocratie participative et gouvernance répond, pour la notion d’identité, une tension analogue, entre l’identité convoquée, assignée et donc aliénante d’une part, et l’identité revendiquée, opposée donc à la première, et que l’on pourrait qualifier d’identité résistance ou résistante, à la suite de M. Castells[3], lorsqu’il souligne que les constructions locales de l’identité se développent en réaction aux déstructurations provoquées par les réseaux mondiaux.

A l’ambiguïté de la participation, entre gouvernance et démocratie participative, répond donc, dans le cadre du processus participatif, une tension entre deux faces de l’identité collective, identité convoquée ou revendiquée, tension qui peut se traduire par l’opposition de différentes politiques de l’identité, mais aussi par la tentative de penser autrement la participation politique, en croisant par exemple les identités, ou en refusant l’abord du politique en termes d’identité. Ce qui correspond à peu près au trois parties de mon intervention.

L’identité aliénante du politique

La tension interne à la notion d’identité provient non seulement de l’opposition de deux sortes d’identité, mais surtout de la superposition, dans un même processus, des deux sens opposés, identités convoquées et revendiquées. Il ne s’agit pas seulement du fait que l’une devienne l’autre – nombreux sont les exemples de luttes démocratiques de libération nationale qui se transforment en nationalismes autoritaires. Il s’agit de superposer les deux formes d’identité dans les mêmes processus participatifs. Alors l’une étant l’inverse de l’autre, celle qui recouvre l’autre l’occulte. Le plus souvent[4], l’identité convoquée recouvre l’identité revendiquée ou résistante. Nous retrouvons alors, avec l’identité convoquée se subordonnant l’apparente identité revendiquée, tous les reproches déjà formulés envers des processus participatifs qui ne serviraient qu’à promouvoir des politiques préétablies.

Il ne peut s’agir d’une condamnation globale des processus participatifs, notamment de tous ceux qui fournissent, avec une participation à grande échelle, tant les moyens d’appliquer les choix politiques, que la surveillance de cette application[5]. Mais dans d’autres cas, en France par exemple, où seulement 2% des habitants d’un quartier participent aux « conseils de quartiers », on peut s’interroger sur le sens de cette participation ; de même à propos de jurys citoyens, où, même en présence d’un budget réel, les jurés ne le connaissent pas d’emblée, sont aussi les porteurs de projets, mais ne sont responsables ni de la conduite des projets ni de l’encadrement de leur propre discussion. Il sera encore question d’empowerment zones, de capacitation, mais à quoi ? Pour certains exemples, il s’agit d’un réel apprentissage de la vie démocratique, et l’on peut alors parler de « démocratie délibérative habilitante » (Empowered Deliberative Democracy)[6]. Pour d’autres dispositifs, la question est de savoir si les compétences acquises dépassent celles visant l’insertion dans un débat public, aux règles et objectifs prédéterminés. Quand bien même les dispositifs seraient animés par les meilleures intentions, l’apprentissage lié à la participation fournit une maîtrise de la « grammaire publique »[7] qui enveloppe peut être une montée en généralité et une meilleure prise en compte de sa parole par les responsables politiques présents, mais qui ne confère pas pour autant de pouvoir sur la vie commune. On s’est donc avec raison interrogé sur la place et la fonction de ces dispositifs dans la vie politique : être un bon citoyen veut-il dire être un bon participant ?

La notion d’identité exprimera ces interrogations en distinguant l’identité convoquée – l’identité d’acteur – de l’identité revendiquée voire immédiatement vécue en dehors de la participation – l’identité des acteurs. Or l’identité des acteurs ne se résume pas à une identité d’acteur, totalement déterminée par le processus participatif, circonscrite dans et par un processus dont il n’est pas sûr que les acteurs eux-mêmes puissent décider des règles[8] – après tout et sauf quelques exceptions l’acteur n’est pas metteur en scène. Tant que demeure une distance entre l’institution du processus participatif et les participants, et donc tant que demeure un metteur en scène, il se pourrait bien que l’on ne trouve plus, dans le processus participatif, que les identités convoquées par le metteur en scène, i.e. alors, par le pouvoir pratiquant la gouvernance. C’est souvent le cas avec la désignation des catégories sociales par les politiques publiques. L’exemple des politiques à destination des « jeunes » a été étudié[9] : le croisement des politiques sociales et des politiques culturelles entraîne un dédoublement des dispositifs d’actions publiques, qui montre que la catégorisation intervient en amont, souvent guidée par une logique sectorielle dans laquelle se chevauchent, voire se concurrencent, les sports, la culture, et l’intervention sociale[10]. Il s’agit donc toujours fondamentalement d’une identité convoquée.

L’identité convoquée paraît donc dominer l’identité résistante dans les processus participatifs commandés par les politiques publiques. Mais ne peut-on en dire autant des processus de résistance politique ? Comment ne pas voir que l’on est convoqué dans un processus de mobilisation ? Le père spirituel du concept d’identité assignée, convoquée par le politique pour maintenir sa domination – Louis Althusser – développe lui-même cette superposition d’identité, convoquée et résistante, lorsqu’il envisage, du point de vue de l’identité résistante, des mécanismes d’assignation – d’interpellation – par les « appareils idéologiques »… syndicaux. Il peut s’agir de l’intégration des représentations ouvrières dans les dispositifs institutionnels paritaires – de la sécurité sociale aux comités d’entreprise. Intégration qui peut avoir été gagnée de haute lutte mais qui, une fois institutionnellement inscrite dans le processus politique, participe de toute manière à la reproduction de cette institution. Il peut également s’agir, surtout chez Althusser qui souligne la présence de l’idéologie dans toute formation sociale, de la fonction des appareils syndicaux dans des sociétés post-révolutionnaires. Le rôle, éducatif, alors dévolu aux syndicats en société communiste était bien de rendre plus étroit le rapport entre « les masses » et « le parti », mais en travaillant sur les masses elles-mêmes[11]. Il y a là, bien évidemment, et surtout à travers la figure de l’éducation, prévalence de l’identité convoquée.

L’interrogation des processus participatifs en termes d’identité, met en question jusqu’à la distinction entre gouvernance et participation, puisqu’à lire sans cesse l’identité convoquée derrière tout processus participatif, on ne fait que ramener la dimension démocratique de la participation à la dimension instrumentale ou « manageriale » de la gouvernance. Il faut alors au moins s’assurer que les dispositifs participatifs visent une autre fin que l’insertion ou l’intégration à leur propre dispositif institutionnel, et, via cette dernière, à la structure sociale dans laquelle ces dispositifs sont mis en place. La pratique française (que l’on me pardonne ces raccourcis) de ces dispositifs montre qu’ils ont peu d’effet sur le politique, sur les décisions politiques, mais plutôt un effet d’apaisement social. Les expériences de délibération en milieu populaire, ou les « groupes de qualification mutuelle » décrits par Marion Carrel[12], n’ont pas d’effets politiques. Dans l’exemple d’un groupe centré sur le logement et décrit comme contre-pouvoir délibératif, les personnes attendant un logement sont mieux informées des difficultés… et donc les supportent mieux, cela permettant d’espérer moins de violences aux guichets des services sociaux.

De la participation à la mobilisation

Les effets induits par les dispositifs participatifs ne paraissent donc pas, au-delà de l’habileté à délibérer dans ces mêmes dispositifs, pouvoir accéder au politique. Non qu’ils ne puissent jamais produire d’effets politiques, mais la prévalence de l’identité convoquée les conduit au mieux à renforcer les politiques existantes, dont les effets sont toujours déjà produits. Que penser alors de la visée d’une « démocratie délibérative habilitante » (Empowered Deliberative Democracy) au moyen des dispositifs participatifs, lorsque tout le monde s’accorde pour souligner, avec Fung et Wright, que cette démocratie habilitante ne peut qu’être impulsée par le pouvoir institué, lui seul à même de décentraliser pouvoirs et moyens[13] ? Le pouvoir peut-il aller jusqu’à instituer ses opposants comme tels ? Les considérations précédentes sur le détournement des identités résistances nous inclinent à penser qu’un pouvoir instituant ses opposants ne ferait qu’affirmer sa propre domination.

Est-il encore possible, au-delà même de la distinction entre participation et gouvernance, de rapporter la participation à une dimension démocratique au sens politique du terme ? La question se pose avec acuité si l’on définit cette démocratie politique en termes sinon d’appropriation, du moins de mise en place d’un pouvoir « appropriable », comme le fait Marcel Gauchet, qu’a bien voulu citer Marc Maesschalck dans son programme[14]. Bernard Manin se réfère, dans un ancien numéro de la revue Politix[15], à l’exemple des parlements pour défendre une dimension politique de la participation, ou du moins pour montrer que les institutions délibératives n’engagent pas une seule voie possible. Ainsi les parlements, d’abord outils destinés à lever des impôts, provoqueraient le renversement de l’ancien régime. Indépendamment des discussions sur les modalités des révolutions, discussions au travers desquelles on pourrait comprendre que les parlements renversant l’ancien régime sont déjà l’expression d’un nouveau pouvoir économique, il faudrait objecter à cette remarque de Bernard Manin que les parlements sont d’emblée des institutions politiques, exerçant effectivement un pouvoir politique. Or la question et la valeur de la démocratie participative consiste d’abord à savoir si la participation peut ou non avoir des effets politiques. Et avoir des effets politiques, c’est avoir des effets sur le pouvoir qui structure l’ensemble de la société, ce qui veut dire, ou bien que l’on exerce déjà ce pouvoir, ou bien que l’on cherche à le conquérir. C’est là faire de la politique en un sens « au sens idéologique du terme »[16], qui n’est pas censé apparaître dans les processus participatifs. Il se pourrait que la politique n’ait pas d’autres sens. Tout comme il se pourrait que la prétention de la participation à constituer un moment du politique, voire l’exercice essentiel du politique en démocratie (le forum), la contraigne à radicaliser sa distinction d’avec toutes les formes managériales de convocation qui circonscrivent les luttes de pouvoir dans une procédure délibérative.

Pour se distinguer d’une dimension managériale de la gouvernance, la participation doit souligner sa dimension démocratique et se présenter comme un pouvoir appropriable, ce qu’elle ne peut faire sans s’émanciper d’une convocation politique ou institutionnelle. Radicaliser la distinction entre gouvernance et participation nous conduit donc à retrouver notre notion d’identité, en recherchant une identité participative non aliénante, qui puisse s’émanciper de l’identité convoquée par les dispositifs institutionnels. Mais comment déterminer cette identité, si, comme nous l’avons déjà souligné, l’identité résistance est elle-même recouverte par l’identité convoquée ? Et comment, d’un autre point de vue politique, le militantisme d’opposition pourrait-il à son tour ne pas être un « suivisme aliénant et sacrificiel »[17] ? A la recherche de cette hypothétique identité non aliénante, je conserverai la figure de la mobilisation comme participation radicale, qui enveloppe un engagement volontaire et une décision d’agir autrement, et qui est plus lisible du côté de l’opposition politique. Mais il faut aussi envisager cette mobilisation sans la faire dépendre d’une identité prédéterminée. Il nous faut donc parcourir les formes d’un libre rapport entre mobilisation et identités.

D’une identité sans mobilisation à une mobilisation sans identité

La précarité : une identité sans mobilisation.

Un premier point soulignera la distinction entre identité et mobilisation, tout en laissant mon propos à distance des mobilisations historiques populaires. Il s’agit simplement de remarquer l’existence conjointe aujourd’hui d’une absence de mobilisation collective et d’une évidente présence de ce qui constituait en principe l’identité mobilisatrice jusqu’au siècle dernier : une identité de classe, de situation économique donc, vécue sous forme d’un rapport oppositif, sinon possédants / dépossédés, du moins comme une expérience commune de dépossession dépassant les catégories socioprofessionnelles. La précarité et ses diverses faces, flexibilité ou autre, et son extension à l’ensemble du salariat, ouvriers, employés et même bon nombre de diplômés, la précarité devrait constituer aujourd’hui la base de rapprochements possibles qui vont au-delà des anciennes alliances recherchées entre classes… mais qui ne se produisent pas. On peut, comme Paul Boccara[18], examiner ce possible en guettant de telles alliances, mais nous devons constater pour le moment leur absence. Il y a donc identité objective de statut économique sans mobilisation aucune.

Le croisement des identités : l’austro-marxisme.

A l’inverse de cette identité sans mobilisation, on peut envisager la participation au politique comme croisement d’une pluralité d’identités, et donc finalement sans convoquer une identité en particulier. C’est le cas avec un exemple peu fréquenté, celui de l’austro-marxisme. Sans faire appel aux développements historiques de la social-démocratie autrichienne, je voudrais privilégier la référence à son programme politique et aux aspects qu’en a présenté Otto Bauer dans son ouvrage de 1907, La question des nationalités et la social-démocratie[19]. L’approche de l’austro-marxisme est intéressante parce qu’elle institue le politique sur la base d’une superposition de trois identités : la classe, l’État ou la citoyenneté, et la nation, au sens culturel du terme.

Une telle superposition suppose tout d’abord que l’on dissocie nation et État ; le sens des deux termes est volontiers confondu dans l’imaginaire post-révolutionnaire français pour qui la nation signifie avant tout l’unité de la communauté politique. Les définitions d’Otto Bauer nous rappellent que le reste du monde emploie le terme de nation avec un autre sens, culturel, que Bauer distingue d’emblée du politique. Cela veut dire que la communauté culturelle qu’est la nation ne peut se confondre ni avec la « nation-État » que veut la Révolution française, ni avec « l’État -nation » que revendique le nationalisme : « Le fait que l’État nation soit considéré comme une règle, et l’État multinational comme une simple exception, une survivance de temps révolu, a conduit à une véritable confusion dans la terminologie politique et institutionnelle »[20]. La communauté culturelle qu’est la nation se fonde sur les relations effectives entre personnes, et non sur une manière de recouvrir ces relations par une unité plus ou moins abstraite. Pour Bauer, la nation ne se fonde pas même sur l’unité de la langue, mais sur les communications existantes entre les personnes ; un ouvrier tchèque travaillant dans une ville allemande et dont les enfants apprennent à parler allemand restera de nationalité tchèque s’il reste majoritairement en rapport avec des tchèques[21] ; un découpage seulement linguistique du territoire relève, écrit Bauer, d’une « économie paysanne naturelle »[22].

La distinction entre identité politique ou citoyenneté d’une part, et nationalité ou identité culturelle de l’autre, s’exprime politiquement par le croisement de deux principes, le principe de territorialité de l’État moderne d’une part et le principe de personnalité reconnaissant les nationalités d’autre part. O. Bauer emprunte le fonctionnement du principe de personnalité à Karl Renner, premier Chancelier de la République d’Autriche, pour qui les nations d’un même État doivent avoir une existence politique en auto-administrant certaines régions, tout en s’articulant avec l’autorité territoriale de l’État [23]. C’est la conception « organique » défendue par Renner[24], contre la conception « atomiste-centraliste » de l’État moderne qui met face à face l’État et l’individu. Otto Bauer s’accorde ici avec Renner : « l’État doit se contenter de garantir les intérêts communs à toutes les nations »[25]. Un point important, sans lequel on ne pourrait comprendre l’intérêt des réflexions de l’austro-marxisme aujourd’hui[26], est le libre choix individuel de sa nationalité. La nation est ainsi définitivement distinguée d’un droit du sang[27]. Cela nous permet de considérer aujourd’hui sérieusement l’identité culturelle et sa distinction d’avec la seule identité politique proposée par l’État moderne.

La troisième identité, l’identité de classe à laquelle fait place le marxiste Otto Bauer, se distingue à son tour de l’identité culturelle-nationale par la définition même que donne Bauer de la nation : « ensemble des hommes liés par la communauté de destin en une communauté de caractère »[28]. Cette communauté de destin ne doit pas nous effrayer, elle vise à souligner, comme le montre Bauer, que l’expérience commune dont il est question est commune parce que demeurent des interactions constantes entre les membres de la communauté nationale. La communauté de destin n’est pas soumission à un même sort, « mais expérience commune du même sort »[29]. C’est là ce qui distingue la nation de la classe : la nation est une « communauté de relations », il existe entre ses membres « interaction constante dans la communication directe et indirecte ». Ainsi les membres de la communauté nationale peuvent ne pas vivre tous la même situation de la même manière (soumission à un même sort), comme vivent les membres d’une même classe, mais s’ils ont vécu ensemble un devenir commun, on parlera, pour cette expérience commune, de communauté nationale, même s’il s’agit des exploiteurs en relation avec les exploités. C’est cette communauté de relation qui devient communauté de culture[30].

Ces distinctions permettent les croisements et superpositions. Karl Renner remarquait déjà que les luttes économiques et sociales s’exprimaient dans et par les institutions représentant l’identité politique[31]. Otto Bauer soulignera à son tour que les luttes nationales rencontrent les luttes de classes, ainsi la lutte des ouvriers tchèques pour leurs droits nationaux est un élément de la lutte de classe des ouvriers tchèques[32]. Bauer lie étroitement la victoire du socialisme à la réalisation de l’autonomie des nationalités, en tant que cette autonomie va de pair avec la participation de tous à la culture nationale : « Seul le socialisme fera participer la totalité des membres du peuple à la culture nationale »[33]. Auparavant l’opposition de classe provoque l’opposition entre nations, par l’identification de la nation à la culture de la classe dominante, et l’hégémonie politique d’une nationalité, nationalité qui n’est donc pas alors distinguée de la citoyenneté. La conquête de l’autonomie territoriale, via la reconnaissance de l’identité culturelle dans et par le politique, serait donc une fin pleinement atteinte aux termes des luttes de classes.

Les non identiques

L’ingéniosité juridico-politique de ces dispositifs repose fondamentalement sur la pluralité des identités mises en jeu – classe, nation, État . La multiplicité de représentations et la visée conjointe de l’autonomie rend difficile à une identité particulière d’établir une quelconque hégémonie, en subordonnant ou occultant les autres. Que penser toutefois de l’optimisme de Bauer ? On peut comprendre qu’en soulignant la dimension radicalement démocratique de l’auto-administration, la lutte pour la reconnaissance politique des droits nationaux puisse rencontrer la lutte des classes comme émancipation. Mais une fois conquise cette représentation politique, pourquoi ne retrouverait-on pas, aussi bien dans les parlements de l’État central que dans les territoires nationaux auto-administrés, la dialectique des identités convoquées et résistantes ? Pourquoi l’identité nationale ne pourrait-elle pas être elle aussi convoquée, et précisément par ce dispositif ? Faudrait-il en appeler au caractère « primaire » (fondamental) de l’identité nationale, dont l’effectivité serait d’autant plus prégnante, et résistante à toute convocation, qu’elle s’affirmerait d’abord dans le domaine culturel, c’est-à-dire et au sens de Bauer dans le domaine des relations interpersonnelles effectives ? Je ne souhaite pas en fait utiliser cette lecture des identités les répartissant en primaires et secondaires, les secondaires étant construites et d’autant plus construites qu’elles s’arrogent une position dominante sur les autres, en termes d’hégémonie si l’on veut[34]. Il me semble impossible de désigner comme « primaires » des identités dont on sait qu’elles sont construites et instrumentalisées – le sexe ou la famille par exemple[35] Tout le monde peut en revanche admettre qu’il peut y avoir hégémonie d’une identité sur les autres lorsqu’elle les subordonne, ou les occulte, tout en prétendant assumer les revendications des identités subordonnées. Et je ne vois pas ce qui empêcherait l’identité culturelle (nationale en ce sens) de se laisser subordonner ou de devenir elle-même une identité convoquée, surtout pas si son processus d’émancipation passe par sa reconnaissance politique et sa participation à des institutions politiques, si différenciées soient-elles. Les mêmes effets de pouvoir constatés auparavant en rapport à la seule identité politique se produiront en rapport à l’identité nationale reconnue politiquement : il faudra toujours être représenté pour être reconnu, et la véracité de cette représentation dépendra toujours de la proximité du représenté et de son représentant, proximité qui ne peut être totale qu’avec une homogénéité parfaite de la communauté nationale, ou une démocratie absolue[36]. En dehors de ces deux cas extrêmes, il reste vrai que la multiplicité des identités représentées, et celle des lieux et modalités de représentation, permet d’imaginer que l’occultation des identités revendiquées soit plus difficile, sans en être moins inévitable.

Tout se passe donc comme s’il appartenait en propre à l’identité d’être convoquée, et au processus de résistance d’être occulté par sa propre revendication d’identité. Après tout, et sans même faire appel aux analyses d’Althusser, on pourrait comprendre, en s’attachant au seul aspect logique et descriptif de ce qui constitue l’identité, que la pluralité ne peut être conservée en elle ni représentée – pas même la pluralité des identités – puisque la représentation politique consiste à ramener à l’unité, ne serait-ce que pour se faire entendre et parler d’une même voix. L’occultation, comme passage au second plan – ou éternelle minorité, puisqu’un autre parlera pour moi – serait donc bien l’aboutissement inévitable d’un processus politique de reconnaissance des identités. Claude Lefort proposait cette belle définition de la démocratie : « la démocratie allie ces deux principes apparemment contradictoires : l’un, que le pouvoir émane du peuple, l’autre, qu’il n’est le pouvoir de personne »[37]. Mais le lieu du pouvoir n’est jamais vide. Le représentant, ou le chef actuel de l’État , sera toujours celui qui, s’il ne doit pas exercer le pouvoir en son nom, ramène la multitude à l’unité. Ce reproche est celui que Benjamin Constant adresse au pouvoir souverain de Rousseau[38], mais il vaut pour tout processus représentatif, et son examen à l’aide de la catégorie d’identité nous ramène à cette dialectique de l’un et du multiple. Le lieu vide du pouvoir dont Ernesto Laclau[39] fait l’abîme de l’émancipation (parce qu’aucune particularité ne pourra jamais adéquatement le remplir) peut bien être le corollaire d’une chaîne de revendications équivalentes – ou, en termes austro-marxistes, d’identités également reconnues – il n’en demeure pas moins que ce lieu n’est pouvoir effectif qu’à condition de ne pas rester vide. La simple juxtaposition des particularités paraît refléter l’absence de domination, mais une particularité remplira toujours le lieu du pouvoir, ne serait-ce que sous la forme d’une présidence tournante – outre l’union européenne, on peut penser à l’ex-Yougoslavie.

Il est à l’inverse facile, mais peut être trop formel ou seulement verbal, de situer la dimension non aliénante de l’identité dans le seul processus de résistance ou d’opposition, par exemple, pour l’institution austro-marxiste, dans l’auto-administration, comme opposition à un pouvoir central. C’est peut-être ce que vise Laclau en posant la nécessité de conserver l’opposition de l’autre au sein du système[40]. Toutefois, si l’opposition est appelée à se subordonner aux identités convoquées par le système institutionnel, la dimension non aliénante de l’opposition ne peut se situer dans une opposition institutionnelle. Si toute identité revendiquée est en elle-même déjà identité convoquée, Laclau est assez cohérent en proposant au « particularisme réellement désireux de changement » de « rejeter non seulement ce qui nie son identité, mais son identité elle-même »[41]. Cela ne revient-il pas à ne plus répondre aux convocations du politique ? Nous rejoignons alors, au terme de cette recherche d’une identité non aliénante dans la mobilisation, les thématiques d’extrême gauche encore illustrée par les mouvements révolutionnaires récents, tel le zapatisme. N’est-ce pas Marcos qui déclarait « le lieu du pouvoir est désormais vide »[42] ? Une même orientation conduit un théoricien du zapatisme, John Holloway, à rejeter la conquête du pouvoir politique et la revendication d’une identité résistante. A vrai dire, la résistance s’illustrera comme le refus d’incarner toute identité, à partir d’analyses ancrées dans Marx, Lukacs ou Foucault, en suivant le fil de la réification pour voir dans l’identité le condensé d’un processus de dépossession dû à l’exploitation capitaliste. De l’aliénation marxiste à la discipline foucaldienne, l’identité devient tout à la fois ce contre quoi il faut lutter et ce qui apparaît soi-même comme résultat d’un processus s’opposant à son contraire. La position dialectique du contraire prouverait la persistance d’un processus d’anti-aliénation, anti-pouvoir ou anti-fétichisation, pour reprendre les expressions d’Holloway[43]. Ainsi la révolte apparaît comme l’affirmation de cette anti-aliénation, et s’exprime comme refus d’identité : « Nous, les non-identiques, combattons cette identification, le combat contre le capital est un combat contre l’identification, et non un combat pour une identité alternative »[44]. Nous serions donc arrivés, au terme de ce parcours de libres rapports entre identité et mobilisation, à une mobilisation sans identité.

Conclusion

La critique de ce dernier exemple est simple ; elle est faite par les contradicteurs marxistes d’Holloway, qui rappellent la forte mobilisation et la participation obéissant à des règles démocratiques qui président dans les villages indiens[45]. Nous pourrions ajouter que l’identité indienne n’y est pas étrangère : Holloway lui-même cite un commandant zapatiste faisant référence aux modalités proprement indiennes de discussion publique, de compréhension mutuelle et de recherche d’un accord commun[46].

Y a-t-il contradiction entre ce refus de l’identité et cette pratique spécifique de la mobilisation populaire ? Peut-être pas plus qu’entre l’acte révolutionnaire et le refus de conquérir le pouvoir d’État . Le refus du politique est refus de l’État , mais pas refus du pouvoir. Si le zapatiste déclare ne pas vouloir conquérir le pouvoir d’État , ce n’est pas parce qu’il refuse le pouvoir, mais parce que l’État n’est plus, à ses yeux, un pouvoir : « the seizure of the state is not the seizure of power »[47]. Il y a bien du pouvoir à prendre en dehors des dispositifs institutionnels, et cette prise de pouvoir s’effectue bien à partir d’une délibération publique.

Nous paraissons arrivés au terme de la condamnation des processus participatifs et retrouvons ces mêmes dispositifs affirmant leur efficacité. Là non plus, il n’y a pas contradiction. La délibération publique demeure le moyen d’engager toute action commune. C’est pour cela qu’elle est mise en œuvre tant par les possédants que par les exploités. C’est parce qu’elle est efficace que la participation est utilisée en étant dévoyée.

La victime de cette double face des processus participatifs n’est pas la participation mais l’ensemble des institutions représentatives de l’État moderne : les libéraux et l’extrême gauche en souhaitent conjointement l’éclatement[48]. Les lieux de pouvoir que sont les dispositifs participatifs sont institués pour conjurer cette fin. Ils représentent bien, dans cette mesure[49], les parlements de l’ancien régime : expression d’un nouveau pouvoir, ils sont nécessairement investis par des volontés contradictoires. Et cela suffit à expliquer que les institutions qui les mettent en place ne leur accordent pas plus de pouvoir. Peut être les institutions représentatives actuelles comprennent-elles également que ces dispositifs qui leur ressemblent manifestent, sinon leur fin, du moins leurs insuffisances.



[1] J. Elster, « The Market and the Forum », in J. Elster et A. Hylland (eds.), Foundations of Social Choice Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1986. L’opposition soulignée par Elster a été modérée par Katharina Holzinger, de l’Institute of Political Science, Hamburg. Cf. K. Holzinger , « Strategic arguing », in Swiss Political Science Review, 10 (2004), pp. 201-210.

[2] L. Blondiaux et Y. Sintomer, « L’impératif délibératif », in Politix, 15/57 (2002), pp. 17-35.

[3] M. Castells, The Power of Identity, Blackwell, Oxford, 1997 ; pour la traduction française cf. M. Castells, Le pouvoir de l’identité (L’ère de l’information, T. II), trad. par P. Chemla, Paris, Fayard, 1999.

[4] Il faudrait exclure les cas de double jeu, « noyautage » ou arrivisme.

[5] Je pense notamment ici au Brésil, cf. M. H. Bacqué, H. Rey, Y. Sintomer (eds.), Gestion de proximité et démocratie participative, Une perspective comparative, Paris, La Découverte Revue du Mauss, 2005 (coll. Recherches), p. 239 ; le nombre des participants appelle une pyramide représentative au sein de laquelle 20% des délégués sont ensuite membres des organismes de contrôle.

[6] B. Lévesque, Un nouveau paradigme de gouvernance : la relation autorité publique-marché-société civile pour la cohésion sociale, Cahiers du Crises – Collection Etudes Théoriques – No Et0422, Décembre 2004, p. 24 (www.crises.uqam.ca).

[7] J. Talpin, « Jouer les bons citoyens », in Politix, 19/75 (2006), pp. 13-31, p. 27.

[8] C’est bien toute la question de l’approche de Charles Sabel : on ne peut vraiment choisir sans choisir aussi comment choisir.

[9] C. Dubar, L’autre jeunesse. Des jeunes sans diplôme dans un dispositif de socialisation, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1987 ; sur ce point également : « Les constructions identitaires chez les jeunes », in M. Boumaza, N. Hube, Ch. Arpaillange, C. Darlon, M.-A. Montané (eds.), L’action publique en direction de la jeunesse urbaine : Différenciation ? Dualisation ? Ségrégation ?, Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 7 (2004).

[10] Ch. Arpaillange, C. Darlon, M.-A. Montané, L’action publique en direction de la jeunesse urbaine : Différenciation ? Dualisation ? Ségrégation ?.

[11] Cf. L. Althusser, Sur la reproduction, Paris, P.U.F., 1995, p. 120, p. 136.

[12] M. Carrel, « Politisation et publicisation : les effets fragiles de la délibération en milieu populaire », in Politix, 19/75 (2006), pp. 33-51.

[13] A. Fung et E. Wright, « Deepening Democracy: Innovations in Empowered Participatory Governance », in Politics and Society, 29/2 (2001), pp. 5-42 ; pour la traduction française cf. M. H. Bacqué , H. Rey , Y. Sintomer (eds.), Gestion de proximité et démocratie participative, Une perspective comparative, Paris, La Découverte, Revue du Mauss, 2005 (coll. Recherches).

[14] M. Gauchet, « Les tâches de la philosophie politique », in Y a-t-il des valeurs naturelles ?, Revue du MAUSS, 19 (2002), Paris, La Découverte, pp. 275-303, p. 297.

[15] « Entretien avec B. Manin. L’idée de démocratie délibérative dans la science politique contemporaine », in Politix, 15/57 (2002), pp. 37-55, p. 53. Article en ligne sur www.persee.fr.

[16] Les guillemets proviennent de la conclusion d’un article de Julien Talpin, « Jouer les bons citoyens », op.cit., p. 30, à propos d’une retraitée romaine qui s’est finalement inscrite sur la liste d’un parti politique : « son expérience de participation ne l’a pas politisée – au sens idéologique du terme – elle lui a permis d’acquérir à la fois des habiletés pratiques […] et un réseau de connaissances des notables locaux, qu’elle a pu ensuite réinvestir sur la scène politique locale ».

[17] P. Cours-Salies et M. Vakaloulis, Les mobilisations collectives, Une controverse sociologique, Paris, PUF, 2003.

[18] P. Boccara, « Défis identitaires de classe des salariés », in Economie et Politique, 588-589 (2003), pp. 43-46.

[19] O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie (1ère éd. 1907), trad. fr.(par qui XXX) , Montréal/Paris, Guérin Littérature/ Edi/ Arcantère éditions, 1987.

[20] O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, op.cit., p. 196. Sur point, cf. également Karl Renner, chancelier de la république autrichienne de 1919 à 1920 : « Etat et nation sont antinomiques au même titre qu’Etat et société en général. L’Etat est une autorité territoriale de droit, la société association de personnes de fait », in Staat und Nation, 1899 (sous le pseudonyme de Synopticus), cité traduit in G. Haupt, M. Löwy et C. Weill, Les marxistes et la question nationale, Paris, Maspero, 1974, p. 220.

[21] O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, op. cit., p. 344-345.

[22] Ibid.

[23] Un exemple de cette articulation se trouve au début du Staat und Nation, traduit in G. Haupt, M. Löwy, C. Weill, Les marxistes et la question nationale, op.cit., pp. 228-229. Renner articule trois systèmes de législation : 1) un bicamérisme central, avec une chambre directement issue du suffrage universel, une autre composée des représentants des nationalités et des territoires. C’est ici, écrit-il, « le terrain des luttes d’intérêts économiques et sociaux » – nous retrouvons l’Etat marxiste comme lieu du déplacement symbolique de la lutte des classes ; de ce bicamérisme central découle un appareil administratif gouvernant l’ensemble du territoire selon le principe de territorialité – jusque là pas trop d’inconnu ; 2) une troisième chambre administre l’ensemble de l’Etat d’après les registres nationaux, avec scrutin proportionnel, représentation des minorités, et vote par collège national ; 3) une « administration autonome territoriale et nationale » enfin, sur la base de conseils nationaux. Dans une région multinationale, où les deux principes se recoupent en administrant chaque territoire national en particulier, il faut imaginer plusieurs conseils nationaux régissant chacun leurs ressortissants et traitant « les tâches de la sphère d’action publique et territoriale déléguée susceptible d’un tel traitement » ; pour les autres actions publiques, l’ensemble des conseils nationaux locaux se réunissent sous la présidence d’un fonctionnaire de l’Etat central.

[24] Sous le pseudonyme de Rudolph Springer, in Le combat des nations autrichienne pour l’Etat, Vienne, 1902. Cf. O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, pp. 288-289.

[25] Ibid., p. 328.

[26] Cf. S. Pierré-Caps, « Karl Renner et l’Etat multinational », in Droit et société, 27 (1994), pp. 421-441.

[27] Cf. O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, op. cit., p. 144 : « le choix conscient d’appartenance à une autre nation que celle de notre naissance est possible ».

[28] Ibid., p. 160.

[29] Ibid., p. 140.

[30] Ibid., p. 384 et p. 380, « la communauté de relations étroites devient nécessairement une communauté de culture ».

[31] Cf. ci-dessus note 23, p. 10.

[32] O. Bauer, La question des nationalités et la social-démocratie, op. cit., p. 352.

[33] Ibid., pp. 514 -515.

[34] Sur cette lecture, cf. E. Balibar, Nous, citoyens d’Europe?, Paris, La Découverte, 2001, première partie. Il est clair que je prends ici le terme de nation en un autre sens qu’E. Balibar, pour qui ce terme paraît toujours d’abord signifier ou bien la « nation-Etat » intégrative et républicaine, ou bien l’Etat-nation du nationalisme.

[35] Exemples donnés par E. Balibar, Nous, citoyens d’Europe?, op.cit., p. 54.

[36] Ce qui revient à faire disparaître un des côtés de la représentation, du côté du représenté avec l’homogénéité nationale, du côté du représentant avec la démocratie absolue.

[37] Cl. Lefort, L’invention démocratique, Les limites de la domination totalitaire, Paris, Arthème Fayard 1981, p. 95. Il est clair que cette belle définition, au demeurant très classique, de la démocratie comme système représentatif où le représentant ne pourra jamais exercer le pouvoir en son nom, est la condition préalable de toute évolution de nos systèmes représentatifs vers un pouvoir que chacun pourrait s’approprier. Cette fin est à ce titre contenue dans l’institution et la démocratie, ce qui rend sa réalisation problématique.

[38] B. Constant, Principes de politiques applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France, 1815 ; in Ecrits politiques, éd. Marcel Gauchet, Paris, Gallimard, Folio-Essais, 1997, Chap. 1. De la souveraineté du peuple : « C’est en vain que vous prétendez soumettre les gouvernements à la volonté générale. Ce sont toujours eux qui dictent cette volonté, et toutes les précautions deviennent illusoires » p. 316.

[39] E. Laclau, Emancipations, Londres, Verso, 1996 ; pour la traduction française, voir E. Laclau, La guerre des identités, grammaire de l’émancipation, trad. par Cl. Orson, Paris, La Découverte / M.A.U.S.S., 2000.

[40] Ibid., Chapitre trois.

[41] Ibid., p. 84.

[42] Cité par J. Bashet, « Du guevarrisme au refus du pouvoir d’Etat : les zapatistes et le champ politique », in Contretemps. Changer le monde sans prendre le pouvoir ?, 6 (2003), pp. 72‑87, p. 77.

[43] J. Holloway, « Twelve Theses on Changing the World wihtout Taking the Power », in Ph. Hearse (dir.), Take the Power to Change the World, Globalisation and the Debate on Power, Socialist Resistance & International Institue for Research and Education, 2007 ; pour la traduction française voir dans Contretemps. Changer le monde sans prendre le pouvoir?, 6 (2003), pp. 38-44, p. 41,42.

[44] J. Holloway, Change the World without Taking the Power, Londres, Pluto Press, 2002, p. 100. Trad. fr. de cette citation in D. Bensaïd, « La révolution sans prendre le pouvoir ? », in Contretemps, 6 (2003), pp. 45-59, pp. 54-55.

[45] Cf. M. Löwy, « Review of Change the World without Taking the Power », in Ph. Hearse (dir.), Take the Power to Change the World, Globalisation and the Debate on Power, op. cit.

[46] J. Holloway, « The Concept of Power and the Zapatistas », in Ph. Hearse (dir.), Take the Power to Change the World, pp. 129-138, p. 133.

[47] Ibid., p. 131. De même, le suite de la précédente citation de Marcos : « le lieu du pouvoir est désormais vide […] le centre du pouvoir n’est plus dans les Etats-nations, il ne sert donc à rien de conquérir le pouvoir », cité par J. Bashet, « Du guevarrisme au refus du pouvoir d’Etat : les zapatistes et le champ politique », op.cit., p. 77.

[48] Je pense ici tout à la fois au thème des négociations le plus décentralisé possibles entre partenaires sociaux, « branche par branche », et aux affirmations d’E. Laclau, « les institutions et la théorie démocratique libérales doivent être déconstruites », in La guerre des identités, op. cit., p. 89.

[49] Dans cette mesure, et non pas immédiatement comme le voulait B. Manin, cf. « Entretien avec . Manin. L’idée de démocratie délibérative dans la science politique contemporaine », op.cit., p. 57.