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La philosophie pratique. Rousseau, Kant, Fichte. (Extraits)

Soutenu à l’université de Paris I Sorbonne, devant MM. Bernard Bourgeois (Président), Bertrand Binoche (Directeur), Mme Catherine Larrère, M. Jean-Christophe Goddard et M. Jean-Louis Labussière.

La philosophie pratique de Fichte.

Nous avons pu, avec Rousseau, reconstituer un ensemble systématique de philosophie pratique en disposant les œuvres selon leurs thèmes privilégiés, mais il manquait un fondement proprement pratique – une exigence – au système ainsi reconstitué. Chez Kant, la Critique de la raison pratique, lorsqu’elle commence par la loi morale et non plus, comme les Fondements de la métaphysique des mœurs, par la volonté bonne, fournit bien sûr une telle exigence première. Mais le commandement moral ne peut être fondement qu’à condition de scinder la rationalité en deux domaines – nature et liberté – scission qui ne peut satisfaire ni l’unité de la raison, ni l’ordonnancement systématique du domaine pratique : la morale doit aller chercher ses conditions de réalisation du côté de la nature, ce qui requiert, outre cet élément constituant du domaine pratique qu’est le postulat de l’existence de Dieu, un élément au statut incertain, le droit, dont l’ambiguïté a été exposée dans notre partie précédente. Le troisième de nos auteurs, Fichte, peut être lu comme proposant une synthèse de ces deux approches, rousseauiste et kantienne, de la philosophie pratique, lorsqu’il donne une définition complète de la philosophie pratique, comme posant une exigence fondamentale, et fondamentale précisément parce qu’un système entier se construit sur cette exigence. En résolvant ainsi les difficultés du pratique kantien, le fondement pratique – l’exigence – n’est plus seulement fondement du pratique, mais bien de l’ensemble de la philosophie. L’intuition intellectuelle sur laquelle repose l’ensemble de la Doctrine de la science – si tant est qu’un tel système puisse être en repos – a été suffisamment rapprochée par Fichte de la loi morale kantienne ou de l’impératif catégorique, pour que l’on aperçoive bien la nature pratique du fondement – l'exigence – du fondement de toute la philosophie. Mais si Fichte répond ainsi aux difficultés kantiennes en reconstruisant l’ensemble de la philosophie sur une exigence première, la question de la philosophie pratique se déplace et n’est plus avec Fichte celle du rapport entre l’exigence et le système, mais celle de la place d’une philosophie pratique dans un système fondé sur une exigence. La question que nous poseront au système fichtéen dans ce dernier moment  est celle des rapports entre ce qui constitue la spécificité persistante d’une partie proprement pratique de la philosophie et l’ensemble de la philosophie, question grâce à laquelle la philosophie de Fichte nous conduira vers de nouvelles interrogations sur la philosophie en général.

L’exigence fondatrice.

Il est clair tout d’abord que le point de départ de la philosophie fichtéenne en général – et non seulement de sa philosophie pratique en un sens restreint à l’éthique[73] – se présente comme une exigence, ou, sous une forme à la fois plus commune et plus précise comme causalité toujours à l’œuvre parce qu’elle ne peut se satisfaire des effets obtenus : comme effort. Dans le § 5 de la Grundlage, moment de transition et d’unité entre la partie théorique et la partie pratique du premier exposé de la Doctrine de la science, Fichte attribue cet effort au Moi absolu, en dépassant toute limitation critique[74]. Que cet effort soit effectivement attribué au Moi absolu, ou que le Moi fini se rapporte à l’Absolu par un effort qui constitue la première définition de la raison pratique fichtéenne[75], nous sommes de toute façon, avec ce concept d’effort, dans ce qui nous permet de poser de façon tout à fait originaire l’exigence d’un rapport à l’Absolu[76]. Le vouloir pur par lequel s’achève la première partie de la Nova methodo illustre ce rapport. Le vouloir pur met fin aux tentatives d’explication de la conscience de soi qui renvoient l’une vers l’autre causalité et connaissance depuis le § 5 de la Nova methodo[77]. Un vouloir pur se donne soi-même son objet parce qu’il est pour soi-même son objet. Pensant au formalisme kantien et à l’autonomie de la volonté, on comprend que Fichte ait pu dire : « le vouloir pur est l’impératif catégorique »[78], indiquant par là que l’éthique et la Doctrine de la science partagent le même fondement[79].

Fichte rapporte à plusieurs reprises l’intuition intellectuelle, fondement explicite de la construction de la Doctrine de la science à partir de la Nova methodo, à l’impératif kantien[80]. Le § 5 de la Grundlage présente, à la suite de la Recension de l’Enésidème et avant la Nova methodo, l’impératif catégorique comme « postulat absolu d’un accord avec le moi pur ». Cela se comprend à partir de l’analyse de l’intuition intellectuelle que présente le début de la Nova methodo et que j’ai déjà étudié dans ma thèse, Pratique et réalité[81], en soulignant que l’intuition intellectuelle articulait deux dimensions, acte et repos, intuition et concept, dont les différences mêmes permettaient leur rapport et leur unité en un savoir. Dans l’intuition intellectuelle, le Moi empirique fait retour sur soi par une réflexion pure, qui n’est réflexion que sur soi ; se forme alors le concept d’un Moi comme réflexion pure. Ce concept est bien identique en son contenu à ce qu’est l’intuition intellectuelle en sa forme, et il naît donc de cette réflexion un savoir. Mais ce concept étant concept, il n’est pas acte, et se distingue alors de l’intuition qui le produit. Le savoir absolu n’est pas l’absolu[82].

D’autre part, parce que le savoir absolu est produit dans une conscience de soi-même, de la distinction entre Absolu et savoir absolu s’ensuit une scission d’avec soi. La réflexion divise. Mais ce que la réflexion sépare ici en sujet et objet étant la conscience de soi elle-même, cette séparation appelle sa résorption d’autant plus inexorablement que le Moi opérant la réflexion en soi est certain de se trouver lui-même. L’intuition fichtéenne étant intuition d’un acte, et d’un acte de réflexion, lorsque le Moi réfléchit pour prendre conscience de lui-même, il trouve ce qu’il fait comme son être : « cet acte est, en vertu de sa nature, objectif »[83]. Le sentiment de certitude produit par ce rapport à soi est défini par Fichte comme accord avec soi, et plus précisément comme « accord immédiat de notre conscience avec notre Moi originaire »[84]. Mais cet accord est pour le moins dissonant, puisque le Moi empirique ne peut se confondre avec l’Absolu, et le peut d’autant moins qu’il connaît l’Absolu en séparant le concept de son acte. La distinction entre Moi pur ou absolu et Moi empirique, parce qu’elle naît dans l’intuition intellectuelle d’une conscience de soi, devient ainsi une contradiction qu’il faut réduire. La nécessité de cette réduction, par laquelle la Recension de l’Enésidème définissait la raison pratique, s’exprime dans le commandement moral comme exigence d’autonomie. L’autonomie exprime en effet l’accord avec le Moi pur dès la Recension de l’Enésidème, elle résume aussi les différentes formules de l’impératif fichtéen : « en ce qui concerne le contenu de la loi, rien n’est exigé que l’autonomie absolue, que l’absolue indéterminabilité par quoi que ce soit d’extérieur au Moi »[85]. J’ai récemment[86] soulevé la question de savoir si l’on pouvait considérer toute tentative d’autocompréhension comme enveloppant une dimension normative, en cela que connaissant mon être véritable, je me devais de m’y rapporter. Cette question partait de la philosophie fichtéenne, précisément parce qu’elle reçoit dans la philosophie fichtéenne une réponse clairement affirmative : l’autocompréhension comme conscience de soi fonde, en un même mouvement, et l’éthique et la Doctrine de la science dans son ensemble.

On peut donc comprendre comment Fichte retrouve la loi morale kantienne dans l’intuition intellectuelle à partir d’une distinction première : distinction entre Absolu et savoir absolu, à cause de la division opérée par la conscience de soi en sujet et objet. Cette distinction, parce qu’elle rapporte le sujet (l’intuition comme acte) à l’objet (le concept de Moi comme repos), constitue le savoir absolu. De la première distinction entre le savoir absolu et l’Absolu ne s’ensuit donc pas immédiatement l’éthique, mais la philosophie première. L’affaire de l’éthique n’est plus de considérer le concept de Moi ou Moi pur, mais d’obéir à un commandement issu de la séparation entre la conscience de soi du Moi empirique effectuant l’intuition intellectuelle et le concept du Moi pur acquis dans l’intuition intellectuelle. Il faut distinguer ici deux regards sur le rapport entre Moi pur et Moi empirique : ce rapport vu à partir du Moi pur nous donne le savoir absolu, et le même rapport aperçu à partir du Moi empirique nous donne le commandement moral.

Cette distinction est distinction de plusieurs points de vue sur un même rapport. Autrement dit en adoptant le point de vue[87] de l’éthique, point de vue sur le rapport entre Moi pur et Moi empirique à partir du Moi empirique, nous ne nous cantonnons pas dans le Moi empirique en abandonnant le rapport au Moi pur, ou le rapport du Moi empirique au Moi pur. C’est parce que je me sais être Moi pur en quelque façon[88] que le rapport du Moi empirique au Moi pur aperçu à partir du Moi empirique devient commandement moral. Nous retrouvons alors chez Fichte la genèse kantienne de l’obligation, à partir du rapport à mon identité intelligible. Kant exprimait cela par son concept de personnalité. Chez Fichte, le concept de Moi ou le vouloir pur ne me commande rien tant que je ne reconnais pas ce concept comme étant le concept de mon Moi, tant que je ne me sais pas être effectivement Moi pur en quelque façon, autrement dit tant que je n’ai pas effectué l’intuition intellectuelle, puisqu’il me faut savoir que je suis Moi pur en quelque façon, ce que m’apprend la possibilité même de l’intuition intellectuelle, pure réflexion sur soi. Chez Fichte comme chez Kant, le fondement de l’obligation repose sur la conscience de soi, c’est-à-dire la conscience d’être en quelque façon identique au Moi pur, conscience que je ne pourrais posséder avec certitude si elle ne se confondait pas avec la conscience de soi du sujet philosophant, ou plutôt la possibilité pour ce sujet de réfléchir sur soi. « L’objectivité » radicale de l’intuition intellectuelle est donc en un même temps, bien que ce ne soit pas sous le même point de vue, ce qui lie le Moi pur à la conscience de soi et ce qui fait de cette liaison un commandement[89].

Ce n’est donc pas la même chose que de penser le Moi pur ou l’absolu comme vouloir pur et de se rapporter à ce vouloir sous la forme d’un impératif. Je dois à un article d’A. Perrinjaquet[90] d’avoir attiré mon attention sur ce point. Les textes sont en fait assez clairs : lorsque Fichte déclare « le vouloir pur est l’impératif catégorique »[91], le texte précise : « il n’est pas utilisé ici comme tel, mais uniquement pour l’explication de la conscience en général ». De même, au point suivant : « Il ne s’agit pas ici d’établir une morale [eine Moral] mais d’expliquer la conscience en général »[92]. Ainsi lorsque la Sittenlehre (1798) écrit « la science de l’Éthique que nous devons instituer est solidement établie sur le fondement qu’elle partage avec l’ensemble de la philosophie »[93], cela ne veut pas dire que l’ensemble de la philosophie devient philosophie pratique ni que l’éthique se confond avec la partie pratique de la philosophie. Il faut prêter attention aux distinctions entre un effort ou pouvoir pratique originaire et l’impératif moral, tout comme à la définition de l’éthique dans le cadre d’une philosophie pratique, ainsi qu’au qualificatif de « pratique » en général qui peut désigner chez Fichte tout à la fois le fondement premier, un caractère de la Doctrine de la science dans son ensemble[94], une partie de la philosophie (éthique et droit p.ex., comme nous le verrons ci-dessous), ou plus particulièrement l’éthique.

La science particulière du pratique se développe bien à partir du vouloir pur, mais, en partant de ce vouloir pur comme commandement, elle s’en distingue lorsqu’elle se constitue, notamment en déduisant les devoirs particuliers qui s’adressent à l’individu agissant[95], ainsi que la possibilité d’y satisfaire. Ce moi individuel pris en compte dans l’éthique est le moi d’un individu raisonnable, partie d’un règne de la raison en général, et moyen de réaliser l’autonomie dans le monde. L’éthique naît ainsi du rapport entre un tout des êtres raisonnables, ce que Fichte appelle dès la Sittenlehre de 1798 « la communion des saints »[96], et ce monde-ci où la raison doit se réaliser, via l’individu raisonnable, en tant qu’il existe dans ce monde-ci et qu’il y rencontre d’autres êtres raisonnables. Avec ces précisions, que Fichte donne dans la Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science[97], on comprend non seulement qu’il existe une science particulière du pratique nommée éthique, mais que cette science doit être en rapport avec le monde intelligible d’une part, ce qui nous conduira vers les rapports entre éthique et religion, puis avec le monde sensible d’autre part et ce qui, dans ce monde, concerne la coexistence des êtres raisonnables, ce qui nous conduit vers le droit. On ne peut parler de philosophie pratique chez Fichte sans étudier les rapports de ces sciences particulières entre elles et avec le premier principe de la Doctrine de la science.

Les sciences particulières du pratique.

Le point de vue de l’éthique.

La distinction entre vouloir pur et impératif catégorique se construit au début de l’ouvrage consacré à la science particulière de l’éthique. Les trois premiers paragraphes de la Sittenlehre déduisent la loi morale comme impératif catégorique ou nécessité de penser sa liberté sous la forme de l’autodétermination : il s’agit en cela de reconstruire, à partir de ce qui constitue en propre le point de vue de l’éthique[98], la synthèse dans l’intuition intellectuelle du sujet et de l’objet. Ainsi la loi morale constitue ou représente, pour le vouloir de l’individu raisonnable fini, l’intuition intellectuelle elle-même.

Pour comprendre ce que constitue ce rapport de la loi morale à l’intuition intellectuelle dans le cadre de l’ensemble de la philosophie fichtéenne, nous pouvons nous reporter à l’exposé sur les subdivisions de la Doctrine de la science qui se trouve à la fin de la Nova methodo[99]. Cet exposé présente une partition de la philosophie en pratique et théorique, comprenant à leur tour, pour la partie pratique, éthique et philosophie du droit, pour la partie théorique, philosophie de la nature et de la religion. Il est possible de rapporter ces quatre parties de la philosophie aux quatre moments de la synthèse finale présentée dans les trois derniers paragraphes de la Nova methodo, moments qui décomposent la synthèse suprême (que Fichte appelle « A »), en « b » et « B » tout d’abord, où, par le principe de causalité, le concept de fin (« b ») se rapporte, dans le § 17, à l’objet produit (« B »), rapport qui devient dans le § 18 celui du vouloir de l’individu raisonnable à son corps. Chacun de ces deux termes extrêmes est ensuite saisi comme déterminé sur fond d’un déterminable, dans une relation de substantialité. Pour « b », l’individu raisonnable, le déterminable sera « g », le monde des esprits. Pour « B », le corps propre, le déterminable sera « G », le monde sensible. Le § 19 met en correspondance l’ensemble de ces quatre termes avec les parties de la philosophie : le vouloir de l’individu raisonnable correspond à l’éthique, il se détache sur fond de monde des esprits, à comprendre comme le règne des fins, monde intelligible ou communion des saints à laquelle se réfère déjà la première Sittenlehre[100], et ce vouloir produit des effets dans le monde sensible où l’individualité physique du sujet moral interagit avec d’autres êtres raisonnables. L’éthique est ainsi en rapport au droit, mais aussi, par l’appartenance au monde des esprits ou règne de la raison, à la religion. Nous avons là l’ensemble de la philosophie pratique.

La reprise de cette partition dans la suite de l’œuvre fichtéenne[101] permet de présenter la perspective de l’éthique, c’est-à-dire ce que devient la synthèse suprême, savoir absolu ou intuition intellectuelle, aperçue à partir de l’éthique. Chaque partie de la Doctrine de la science réfléchit en effet son rapport à l’intuition intellectuelle ou savoir absolu[102]. Cette reprise donne, dans le cadre de l’éthique, le commandement moral. Dans le commandement moral, le vouloir pur, synthèse de la connaissance et de l’agir, qui se donne son objet parce qu’il est lui-même son propre objet, s’adresse donc à l’être raisonnable fini. Par cette adresse, le vouloir pur devient commandement et l’autonomie devient loi. Ce moment concerne le début de la Sittenlehre, essentiellement le chapitre un, dont les trois paragraphes présentent le vouloir pur comme conscience de soi, en elle-même, puis pour le Moi, et synthétise les deux aspects, objectif et subjectif, dans le fait de se soumettre à la loi morale. Cette synthèse s’exprime dans un texte rédigé du point de vue du sujet voulant, texte très dense dont j’ai déjà donné un commentaire[103]. Par rapport à ce dernier, j’ajouterai un mot lié à ce que je viens de dire sur les rapports des sciences particulières à l’ensemble de la Doctrine de la science : l’originalité de Fichte dans sa construction de l’éthique – et donc le propre de l’éthique fichtéenne – n’est pas de prendre conscience de soi comme d’un vouloir (ce qui est déjà fait à la fin de la Nova methodo, première partie), mais d’analyser cette conscience de soi du point de vue du sujet voulant. C’est le point de vue du sujet voulant qui décompose cette conscience de soi en un objet qui n’est pas le monde mais ce que le sujet voulant pense qu’il est, et un sujet qui n’est pas le sujet voulant lui-même mais la façon dont le sujet voulant prend conscience de lui-même ; les deux sont liés dans le texte cité en référence : la façon de prendre conscience de moi-même est liée à ce que je suis (autonomie), c’est la « nécessité dans laquelle je suis de ne déterminer ma liberté que par le concept d’autonomie », et ce que je suis est lié à la façon de prendre conscience de moi-même : je me détermine à me penser (me décide à me penser au lieu de penser autre chose) et je me trouve comme autonome. La loi morale, comme impératif catégorique, est alors le lien entre cet aspect objectif et cet aspect subjectif de sa conscience de soi : je ne peux me penser comme libre (ce qui revient à dire, d’après les premières pages de la Sittenlehre : je ne peux me penser tout court) qu’en entendant retentir en moi le commandement moral, commandement qui se résume de plus chez Fichte à cette exigence d’autonomie[104].

L’éthique peut alors se construire comme science particulière, reprenant en elle-même le principe de la Doctrine de la science. La reprise du principe de la Doctrine de la science au sein de chaque science philosophique particulière fait de ces points de vue des sciences, mais les conduit aussi à apercevoir l’ensemble des autres sciences à partir de leur propre point de vue. Cette reprise est exposée dans la dernière conférence de la Doctrine de la science 1804. Nous pouvons la compléter ici à propos de l’éthique en rapportant la Nova methodo et la Doctrine de la science 1804 à la première Sittenlehre. Ainsi la Sittenlehre déduit-elle la nature (§§ 7-9) – « G » de la synthèse finale de la Nova methodo, ou « sphère de l’action conforme au devoir » dans la 1804 – à partir de ma possibilité d’agir en elle, nature qui est alors, tout comme dans la Nova methodo, un tout organisé. Ce n’est pas immédiatement le règne des esprits mais la copie mondaine du règne de la raison – « g » du schéma final de la Nova methodo, monde régi par un Dieu veillant sur la loi morale dans 1804 –qui est déduite dans la Sittenlehre comme communauté des savants, élément dans et par lequel sont levées les contradictions de la conscience morale (comment agir sans s’opposer à la liberté d’un autre être raisonnable). Le droit, qui avait déjà tenté de résoudre ces contradictions, se retrouve donc aussi déduit comme tel – « B » de la synthèse finale de la Nova methodo, ou en 1804 l’existence des êtres raisonnables « pour qu’ils soient ou deviennent moraux »[105]. Déduit dans et par l’éthique, le droit est subordonné à une fin morale : ainsi ce n’est pas pour la sécurité de ma personne et de mes biens que je dois m’engager dans un état juridique, mais pour être sûr de ne pas traiter autrui contre son droit[106].

Le point de vue du droit

Que le droit soit déduit dans et par l’éthique n’interdit pas – ce fût d’ailleurs le commentaire d’A. Renaut[107] – de le considérer pour lui-même, comme point de vue ou science particulière à part entière. Nous retrouvons pour le droit la même mise en perspective que pour l’éthique, elle préside à la déduction du système juridique proprement dit. Les plans des deux premiers ouvrages de philosophie pratique sont d’ailleurs, dans leurs grandes lignes – titres des parties et volumes respectifs – exactement identiques. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il y aurait identité ou continuité entre les deux sciences pratiques, mais il y a identité quant à la forme de leur construction, à commencer par le rapport que chacune des deux sciences entretient avec le principe de la Doctrine de la science, rapport qui constitue la première partie de chacun des deux ouvrages. Ce rapport au principe de la Doctrine de la science n’est pas, je le répète, le principe de la Doctrine de la science lui-même, mais ce principe réfléchi, repris et transformé, mis en perspective à partir du point de vue de chaque science particulière. Le droit se situe au point de vue du sujet dans le monde sensible : « le concept du droit se rapporte uniquement à ce qui s’exprime dans le monde sensible »[108]. En ce qui concerne l’existence de l’individu raisonnable, c’est l’intersubjectivité qui remplit, dans le monde sensible, la fonction du vouloir pur dans l’analyse de l’intuition intellectuelle. Dans l’analyse de l’intuition intellectuelle, le vouloir pur rompt le cercle qui nous renvoie de la connaissance vers le vouloir, pour rechercher les conditions du concept de fin[109]. Pour rompre ce cercle et expliquer la conscience de soi, il faut une synthèse entre l’être et l’agir, entre la connaissance et le vouloir : cela était possible avec le vouloir pur qui n’est pas vouloir d’un objet, c’est à nouveau possible pour les individus dans le monde avec l’intersubjectivité. La déduction fichtéenne de l’intersubjectivité, définie et commentée depuis les premières grandes lectures françaises de l’œuvre[110], détermine les conditions permettant à l’individu raisonnable de prendre conscience de lui-même dans le monde sensible, et donc de trouver sa liberté comme telle, non comme un objet, mais comme un appel à agir librement, appel qui ne peut lui être adressé que par un autre individu raisonnable. L’intersubjectivité devient le premier principe de la Doctrine de la science lorsqu’il est aperçu à partir du point de vue juridique : dans une relation intersubjective définie comme appel à agir librement, chaque être raisonnable peut prendre conscience de lui-même, car il trouve sa liberté non comme objet, mais comme avenir, détermination de son propre agir. La sphère du droit est ainsi déduite grâce à la reprise du premier principe à partir du point de vue du droit : « c'est seulement dans la mesure où des êtres raisonnables peuvent se trouver réellement en relation les uns avec les autres, et peuvent agir en sorte que l'action de l'un ait des conséquences pour l'autre, qu'entre eux la question de droit est possible, ainsi qu'il ressort de la déduction qui a été effectuée, laquelle suppose toujours une action réciproque réelle »[111]. La relation juridique annoncée dans le titre du § 4 est donc cette nécessité dans laquelle je suis de traiter l’autre comme un être raisonnable en respectant sa liberté, i.e. la sphère de ses actions.

Nous retrouvons pour le droit la reprise non seulement du premier principe, mais de l’ensemble des autres points de vue. Tout d’abord avec l’importante déduction de la communauté juridique qui constitue, parce qu’elle est déduite à partir de l’interaction des individus raisonnables, une déduction du concept de communauté humaine en général[112]. Nous avons là l’équivalent, sur le plan sensible, de l’existence d’un monde des esprits ou règne de la raison dont je m’arrachais, dans le § 18 de la Nova methodo, pour exister comme individu. Ici la communauté est constituée par l’existence des individus raisonnables, là-bas le monde des esprits était déduit comme déterminable[113] de l’existence individuelle. Le vouloir du sujet moral, représentant l’idéalité de l’être raisonnable, est ici rabattu sur la légalité ; le monde sensible, quant à lui, est déterminé par ce qui permet la relation juridique entre êtres raisonnables, c’est-à-dire l’exercice et le respect réciproque de leurs libertés ; la Doctrine de la science 1804 écrit que le monde sensible est « posé dans l’intérêt de l’industrie civile »[114].

Le point de vue de la religion.

Statut de la Destination de l’homme.

Une incertitude préside à la considération du point de vue religieux concernant l’ouvrage qui traite de cette « science particulière ». Les dates, et les thèmes abordés, nous orienteraient vers la Destination de l’homme. Mais il ne va pas de soi de la faire figurer ici comme ouvrage présentant une science philosophique particulière, science pratique, et prenant qui plus est pour objet le seul point de vue pratique qui manque encore, celui de la religion. Fichte dit en effet lui-même, dans la lettre A Schelling du 31 Mai ou Août 1801, qu’il n’a pas développé le point de vue religieux (« g » dans le schéma de la synthèse suprême à la fin de la Nova methodo), soulignant que « la plus haute synthèse, celle du monde des esprits, n’a pas encore été effectuée »[115]. Faut-il donc attendre l’Anweisung, dont le sous-titre est « doctrine de la religion », pour que soit effectuée cette synthèse du monde des esprits ? La réponse est difficile. Il est question de philosophie de la religion dans la Destination de l’homme, son contexte est l’accusation d’athéisme, et Jean-Christophe Goddard, éditeur français des textes liés à cette accusation, conclut l’introduction de son recueil en présentant la Destination de l’homme comme une synthèse des textes de la querelle[116]. Rappelons que le point de départ de l’accusation d’athéisme est un article de 1795, censé préciser les positions de Fichte par rapport à – et par distinction d’avec – la religion déduite de la moralité du kantien Forberg, dont Fichte ne cessera de s’éloigner (il condamnera l’érection du « devoir froid et strict » en absolu dans l’Anweisung[117]). Dans le texte incriminé[118], Sur le fondement de notre croyance en une divine providence, Fichte subordonne le monde sensible à l’exigence morale, subordination qui commande un ordonnancement du monde à partir du registre pratique, et une orientation de ce monde vers des fins morales. On est encore proche des positions kantiennes, et le déplacement de la théologie vers la morale a pu éveiller les soupçons des « défenseurs du trône et de l’autel », surtout après les formulations de Forberg (« Y a-t-il un Dieu ? Cela est et demeure incertain. »[119]). Pourtant, même si la théologie kantienne n’est pas celle de Fichte, il est question, dans l’article de 1795, de défendre le statut de la foi (croyance), et de poser avec entière nécessité l’existence d’un Dieu auteur de l’ordre moral du monde car il est lui-même cet ordre. Ces développements seront repris au livre trois (pt. IV) de la Destination de l’homme ; cela ne fait pas de la Destination de l’homme un traité entier consacré à la religion, mais au moins le premier développement spécifiquement consacré au religieux. En un sens, si la Destination de l’homme n’est pas tout entière consacrée au point de vue religieux, cela est paradoxalement dû au contexte polémique. Je reviens sur le plan proposé dans un article de 1996[120], pour accentuer l’importance de ce contexte et modifier le sens du découpage. J’avais à l’époque voulu rapporter les trois livres de la Destination de l’homme aux quatre points de vue constituant la Doctrine de la science dans son ensemble, le livre un aurait alors concerné la philosophie de la nature, nécessité à laquelle on ne pouvait croire (d’où le titre du livre un, « Doute »), le livre deux aurait abordé le point de vue idéaliste (« Savoir »), philosophie du sujet, mais qui ne peut fonder la nécessité de son agir (d’où la fin du livre deux sur le rêve), le livre trois enfin développerait la position de l’idéalisme transcendantal (« Croyance »). Je reprends aujourd’hui ce découpage pour voir encore dans les trois livres une affirmation progressive de l’idéalisme fichtéen, mais à partir d’une réponse à Jacobi. En soulignant ce rapport à Jacobi, je pense maintenant que seul le livre trois nous présente, avec l’idéalisme transcendantal de Fichte, les quatre points de vue de la Doctrine de la science.

J’avais écrit : « le premier Livre part de l’évidence du monde et aboutit à ce qui pourrait être le point de vue de l’entendement dans les antinomies kantiennes, une Nature légiférant selon une rigoureuse nécessité s'opposant à l'exigence de liberté. » Cela peut être maintenu, mais ce livre un représente tout autant la critique jacobienne du rationalisme. La nécessité naturelle, recouvrant la totalité absolue des phénomènes, peut bien représenter le point de vue de l’entendement dans les antinomies kantiennes (l’antithèse) : ce qui justifiait d’y faire appel est surtout la fin du livre un, qui s'achève bien sur une vision antinomique du monde, opposant la conscience de ma liberté à la nécessité naturelle : « Laquelle de ces deux opinions dois-je adopter? Suis-je libre et autonome ou bien ne suis-je rien en moi-même, mais exclusivement le phénomène d'une force étrangère ? »[121]. Cependant, à la différence des antinomies dynamiques de Kant, l'exposé antinomique de Fichte n'ouvre aucune voie conciliatrice, et cela renforcerait le rapprochement d’avec la critique du rationalisme opérée par Jacobi.

Le livre deux développe le point de vue du sujet, non plus seulement à partir de la conscience de la liberté, mais en tant que ce point de vue vient répondre à l’irrésolution du livre un en enracinant le savoir dans le sujet lui-même et en présentant donc l’idéalisme transcendantal comme une première tentative pour résorber l’opposition concluant le livre un, au moins du point de vue théorique. Il fait intervenir une transcendance « L’Esprit » qui invite le sujet à se détourner du monde pour réfléchir sur lui-même, et tout d’abord sur sa pensée du monde. Ici la conscience du sujet se découvre comme conscience de soi, constituant le fondement des représentations. La nécessité qui s’opposait à la liberté dans le livre un est donc le fait du sujet, dont la pensée est fondement de toute réalité[122]. Toutefois, et dans la mesure même où toute nécessité se trouve rabattue vers le sujet, la conscience ne peut alors s’apercevoir comme fondement du monde[123]. Nous retrouvons ici la Première Introduction à la Doctrine de la science et sa critique de l’idéalisme dogmatique qui ne peut expliquer la donation du monde à partir du point de vue du seul sujet ; mais cette critique de l’idéalisme s’effectue surtout en des termes très proches de ceux de Jacobi critiquant la Doctrine de la science, ainsi lorsque Fichte reprend la conclusion de lettre de Jacobi raillant le subjectivisme de la Doctrine de la science, décrite comme un bas tricoté où le fil se noue lui-même sans doigt ni aiguille[124]. Le détricotage du bas, image de l’analyse idéaliste fichtéenne, se conclut donc par le néant. Il en va de même avec la fin du livre deux de la Destination de l’homme : la conscience se perd dans le néant, dans le rêve, ne pouvant trouver aucune présence première hors de son propre monde d’images. Cela ne veut pas dire qu’il y a là l’exposé de la pensée fichtéenne de ce qu’est l’idéalisme transcendantal ou de ce qu’est la spéculation dans le cadre de l’idéalisme transcendantal, mais Fichte reprend ici la critique que Jacobi fait de la spéculation pour mieux affirmer son propre idéalisme, qui fondera le théorique sur le pratique. C’est en ce sens que Fichte peut s’accorder avec Jacobi, mais en complétant le point de vue de ce dernier par la dimension pratique de la Doctrine de la science, et en se séparant alors de Jacobi. Loin qu’il y ait là évolution de la doctrine fichtéenne, il y a confirmation d’un dialogue et d’une distance d’avec Jacobi, puisque le livre trois va donner un fondement au livre deux. D’ailleurs à la fin du livre deux, la conscience refuse de croire en cette absence de fondement[125]. En des termes encore proches de ceux de Jacobi, cette première irruption de la croyance, sous forme de l’exigence d’un fondement, nous indique un nouveau domaine de la rationalité.

Le livre trois est donc proprement l’exposé de l’idéalisme fichtéen, et se développe en quatre moments, dans lesquels nous retrouverons – ce n’était pas dit exactement en ces termes dans mon article de 96 - les quatre points de vue ou quatre sciences philosophiques particulières de l’ensemble de la Doctrine de la science. Le livre trois part de cette exigence d’un fondement et l’analyse, pour y trouver la primauté d’un effort – « tendance à l’autoactivité absolue »[126] – fondateur du domaine pratique. Je reviens aujourd’hui sur ce point puisqu’en faisant du livre trois une synthèse des livre un et deux, pour affirmer, dans le livre trois seulement, l’idéalisme fichtéen, on doit retrouver, dans cet instinct ou impulsion, l’effort pratique originaire – originaire pour le pratique et pour le théorique. Fichte reprend ici, en des termes très proches, le thème de la subordination du théorique au pratique, développé au §15 de la Sittenlehre. Le rapport à ce fondement est posé, dans le cadre du rapport à Jacobi, comme croyance, la croyance recouvrant la certitude de la science par l’authenticité et la fermeté de la conviction[127]. Ainsi la définition de la croyance au début du livre trois : « cet abandon volontaire à la manière de voir qui se présente naturellement à nous, parce qu’elle est la seule qui nous permette de remplir notre destination »[128]. En présentant la liberté du sujet comme fondement de son savoir, et le rapport à cette liberté sous forme de croyance, Fichte peut, sans s’opposer frontalement à Jacobi, sauver le savoir du livre deux, parce qu’il subordonne la raison théorique à la raison pratique.

Le premier point du livre trois développe ainsi moins le point de vue de la nature proprement dit que la subordination du théorique au pratique. On part de la position d’autres êtres libres pour arriver au monde – par exemple : « mon monde, c’est l’objet et la sphère de mes devoirs et absolument rien d’autre »[129] ; c’est le chemin suivi dans les autres ouvrages de philosophie pratique.

Le deuxième point semble développer le même thème, à partir des effets de la moralité. Il commence par séparer deux mondes, l’un où se réalise l’intention morale, l’autre étant celui dans lequel j’existe physiquement. C’est à partir de la possibilité pour ma volonté d’avoir des effets dans l’autre monde, que je donnerai un sens à mon action dans ce monde-ci. Il ne s’agit pas, avec cette existence intelligible, de passer dans l’autre monde. Cette existence intelligible a d’abord le sens d’une aspiration à un autre monde, comme exigence de transformer ce monde-ci Ainsi le deuxième point du livre trois ne développe pas un point de vue religieux, son contenu principal reste d’exposer notre destination en ce monde, c’est pourquoi nous retrouvons ici le droit : « La destination de notre espèce est de s’unir en l’unité d’un corps parfaitement transparent à lui-même en toutes ses parties et partout formé de la même manière »[130]. S’ensuit une confrontation entre État de raison et de nécessité, confrontation dont résulte un redoublement de l’inanité de la vie mondaine, ou du point de vue mondain, c’est-à-dire du droit.

Le troisième point du livre trois développe cette inanité et la perte des effets de ma volonté en ce monde. Pour que l’obéissance soit raisonnable, il faut donc qu’il y ait un monde supraterrestre. Nous rentrons dans la moralité proprement dite en considérant le monde sensible à partir du monde intelligible et en s’installant dans un monde intelligible (nous serions ici dans le rapport « g-b » de la synthèse finale de la Nova methodo). Le sujet moral se situe entre deux « ordres », spirituel et sensible, en comprenant que le thème de l’ordre souligne tout d’abord l’existence d’une législation, et donc d’une subordination à un principe, puis que l’ordre régule l’action tout en la commandant, nous sommes dans une conception dynamique du monde.

La polémique sur la rupture de l’œuvre fichtéenne, qui serait pratique avant 1800 et religieuse après[131], est due à la position d’un absolu actuel et part de cette affirmation de l’existence intelligible, existence de et dans un monde intelligible dont Dieu sera l’ordre tout aussi actuel (nous rentrons maintenant dans le quatrième point du livre trois) : Dieu est ici volonté, agent actif et vivant du monde rationnel. Cette conception dynamique permet de conserver le point de vue de la moralité, et la nécessité d’agir en ce monde, même si cela ne peut se penser, à partir de la religion, que pour les effets intelligibles de l’action. J’écrivais dans l’article de 1996 : « La moralité nous a donc conduits au point de vue de la religion, où Dieu, l’objet absolu, détermine le sujet. ». Ce monde où la volonté a des effets est régi par une volonté. Il est tout d’abord constitué par l’interaction des volontés (l’intersubjectivité, du point de vue de la moralité et non plus du point de vue du droit), puis, ma volonté agissant dans le rapport à d’autres volontés comme raison sur la raison, elle agit selon les lois de la raison, mais en pensant alors à une raison qui est aussi volonté comme loi du monde spirituel. On trouve ici l’explication au fait que le point de vue religieux soit, aperçu à partir de la morale ou du droit, communauté (communauté juridique ou règne des fins) : il s’agissait toujours d’une communauté unie, dont l’unité est due au principe – la volonté infinie comme loi du monde spirituel – que la religion personnifie ou objective en un Dieu. On a confirmation qu’un point de vue exprime les autres sans supprimer leur objet, même si leur point de vue est dépassé / déplacé, et donc supprimé comme point de vue. Le point de vue religieux est un point de vue, il ne supprime pas les autres points de vue comme tels, mais au contraire les exprime. Ainsi, pour le point de vue religieux, le monde sensible est posé (premier point du livre trois) par l’exigence pratique, le droit est expression de l’aspiration à un monde meilleur, la moralité (en vue de laquelle peuvent être lus les points 1 & 2) proclame mon appartenance à l’ordre intelligible et l’existence actuelle du suprasensible.

Toutefois l’exposition de l’ensemble de la Doctrine de la science est ici orientée, non par le point de vue religieux, mais par l’ensemble des deux points de vue que l’Anweisung  qualifiera de « supérieurs » : moralité et religion. Cette présence de la moralité dans son rapport à l’intelligible permet de ne pas voir dans la Destination de l’homme une rupture dans l’œuvre fichtéenne. Mais il est alors difficile de considérer l’ouvrage  comme philosophie de la religion. On peut trouver dans la Destination de l’homme le point de vue religieux, mais il faut le chercher, car la construction de ce point de vue comme tel n’est pas explicitement l’objet d’un ouvrage. Il reste vrai que la Destination de l’homme clôt une polémique, essentielle pour Fichte, qui défend ici l’ensemble de la Doctrine de la science, en nous montrant certes la place de la religion, mais sans pour autant reconstruire la Doctrine de la science à partir de la religion.

La construction du point de vue religieux dans l’Anweisung.

Ce qui manquerait à la Destination de l’homme pour correspondre exactement aux autres exposés des sciences particulières du pratique serait donc d’apercevoir l’ensemble de la Doctrine de la science à partir du point de vue religieux, ou de construire ce point de vue comme tel avec ce « déplacement » par lequel nous apercevons le premier principe à partir des sciences particulières. Cela se trouve dans l’Anweisung. Ce qui est en revanche présent dès la Destination de l’homme, et qu’il faut apercevoir pour refuser les coupures dans l’œuvre fichtéenne, l’unité possible des points de vue supérieurs entre eux, est aussi présent dans l’Anweisung. Ainsi Fichte commence-t-il l’Anweisung par la construction, dans les cinq premières conférences, de ce rapport à l’Absolu du point de vue de la religion. Pour expliciter cela, il faut proposer un découpage de l’œuvre différent de celui qu’annonce M. Gueroult dans sa préface, lorsqu’il isole les deux premières conférences comme introductives (ce qui est bien sûr possible), puis sépare la suite en spéculatif (Conf. III à VI) et vécu (Conf. VII à IX), la fin (Conf. X & XI), représentant une synthèse et des conclusions générales. On peut ne pas s’accorder avec ce découpage puisque : 1) le moment du passage de l’ensemble de la Doctrine de la science au point de vue religieux n’y est pas isolé comme tel , 2) ce découpage sépare le spéculatif du vécu, alors que le rapport au vécu demeure partie intégrante des points de vue supérieurs, et que ce rapport est essentiel pour apercevoir du pratique dans la religion et donc la continuité de l’œuvre. Le découpage que je propose est différent : conférences (ou leçons) I à V comme introduction à la doctrine de la religion ; conférences VI à X comme doctrine de la religion ; puis XIe conférence qui est conclusion : il y est effectivement question d’application générale, mais en tant qu’elle engage le théoricien de la science.

Les deux premières conférences sont liées, d’un lien engageant la suite de l’ouvrage, et on comprend que M. Gueroult ait pu les considérer séparément. La première conférence présente l’objet de l’ouvrage : la vie bienheureuse, béatitude ou fin dernière du sage, bonheur absolu, vie en Dieu. En tant que bonheur indépassable et complet en soi-même la vie bienheureuse dépasse l’incomplétude et l’insatisfaction de la vie présente. Si l’on définit ces deux formes de vie par leur opposition, la vie présente est alors caractérisée par sa distinction d’avec la vie bienheureuse, c’est-à-dire par sa séparation d’avec la complétude. Elle doit pouvoir être dépassée non seulement vers, mais aussi par la vie bienheureuse, ce qui renforce le sens du point de vue religieux. Autrement dit ce qui distingue la vie bienheureuse de la vie présente ou apparente doit aussi permettre de les rapporter l’une à l’autre. Ce lien qui marque une distance est l’amour, thématisé dès les premières pages de l’Anweisung. L’amour est tout à la fois ce qui construit l’unité de la vie bienheureuse (on retrouve ici la volonté divine de la Destination de l’homme, unité du monde des esprits) et ce qui rattache l’incomplétude de la vie présente à Dieu ; c’est la « nostalgie de l’éternel »[132] comme « affect originel de l’existence »[133].

Par là s’indique que du point de vue de Dieu ou de la vie bienheureuse, l’extériorité n’en est pas tout à fait une : l’amour, Saint Esprit ou logos johannique réunit l’Absolu et sa manifestation, c’est lui qui donne sens à la création comme incarnation. Mais on comprend aussi que, du point de vue de la vie présente, et dans la mesure même où celle-ci se sait telle, c’est-à-dire se sait seulement apparente et soutenue par la nostalgie de l’Éternel, il y a conscience d’une séparation qui est la définition même de la vie présente : la vie apparente est conscience de soi, et c’est en tant que conscience de soi (réflexion, pensée, savoir) qu’elle peut se rapporter à la vie bienheureuse. Ainsi la réflexion demeure séparée de Dieu, ce qui n’est pas le cas de l’amour.

Après l’objet, la forme ou la méthode : la deuxième conférence défend, avec la vulgarisation, la possibilité d’un écrit exotérique. Intervient aussi, dans la deuxième conférence, un élément qui ne paraît pas devoir être lié avec la défense de la vulgarisation scientifique : il s’agit d’une autre défense, celle d’être mystique, ou plutôt l’affirmation, par cette défense d’être mystique, d’une distinction ferme entre le discours scientifique lui-même et le mysticisme comme union en Dieu. Les deux points sont bien liés, puisque la meilleure défense contre le mysticisme consiste à produire un discours scientifique précisément : le savoir ou la conscience de soi n’étant autre que le savoir que j’ai de mon rapport à Dieu et donc de ma distinction d’avec lui. On retrouve ici la thématique critique de la séparation du savoir et de l’Absolu, thématique présente dès la Grundlage et pour laquelle Fichte n’a pas à attendre l’opposition à Schelling. Que la Doctrine de la science pose l’anéantissement du savoir devant l’Absolu ne permet donc pas de la confondre avec le mysticisme, car le savoir ne peut s’anéantir lui-même qu’après s’être construit comme savoir, et cet anéantissement n’est donc pas une simple négation, mais son accomplissement, la confirmation de l’achèvement du savoir.

L’unité des cinq premières conférences peut se lire dès la troisième, comme somme des deux premières sur l’objet et la méthode. Il s’agit d’un discours scientifique vulgarisé sur les rapports entre la réflexion et l’amour, deux façons de saisir le rapport de l’Être à son existence ou sa manifestation[134]. L’exposé scientifique qu’il s’agit ici de vulgariser est la Doctrine de la science 1805[135], quatrième exposé de la Doctrine de la science, professé à Erlangen, pendant l’été 1805. Cet exposé part, tout comme la Doctrine de la science de 1801, d’une interrogation sur le savoir en soi, savoir absolu (première leçon), pour poser (deuxième leçon) que cet absolu dans le savoir ou « du savoir » est l’existence même de l’absolu. La question devient alors de penser le rapport de l’Absolu à son existence, et les trois conférences suivantes (conférences 3-5) de la Doctrine de la science 1805 développent le même thème que la troisième conférence de l’Anweisung. L’existence de l’absolu (ou le savoir absolu) est séparation ; c’est pour et par elle qu’il y a séparation (quatrième leçon de 1805). En soi, l’Être et l’existence sont en la racine identiques (cinquième leçon de 1805). La troisième conférence de l’Anweisung résume ces points ainsi : « L’existence de l’être doit être nécessairement une conscience de soi de l’existence elle-même en tant que simple image de l’Être qui est absolu et en soi, et [qu’] elle ne peut rien être d’autre »[136].

Lorsqu’il affirme l’unité de l’Absolu et de sa manifestation, alors que la distinction de l’existence d’avec l’Absolu est pour et par le savoir ou la réflexion, Fichte a en fait déjà exprimé le point de vue religieux et sa distinction d’avec la science, mais il n’a pas explicitement construit le point de vue religieux comme tel, ce qu’il ne peut faire qu’en exposant l’ensemble des points de vue. C’est l’objet de la quatrième et de la cinquième conférences qui, de façon génétique, présentent la distinction des points de vue à partir de la source de toute distinction, la réflexion, et distinguent deux formes de réflexion. La première réflexion est celle qui donne naissance au monde : elle est répétée, et c’est la répétition de la division produite par toute réflexion qui construit le monde. L’exemple le plus simple en est le temps[137], que nous connaissons déjà, depuis Fondement du droit naturel, comme répétition d’un effort du Moi[138]. Ici s'enracine la possibilité de déduire a priori les propriétés du « morcelé »[139], ce qui est la tâche d'une philosophie systématique. A cette réflexion de la conscience ordinaire s’en ajoute une autre, celle-là même qui permet de déduire la réflexion de la conscience ordinaire en la prenant pour objet, et qui est conscience de soi ou réflexion de la réflexion. Cette seconde réflexion, qui est reproduction et non plus répétition de la réflexion, ne sépare pas seulement en deux, sujet et objet, mais part d’un objet déjà divisé dont elle sépare la division elle-même. Nous obtenons alors une division quintuple, qui part des termes opposés, construit le rapport de ces termes du point de vue de chacun des termes opposés, et produit finalement leur unité. Réfléchissant sur la production du monde comme morcellement par la première réflexion de la conscience, cette seconde réflexion met à jour les systèmes philosophiques. Ces systèmes peuvent simplement se faire face, et sont alors rejetés pour leur partialité jusqu’à la synthèse finale, comme dans le § 4E de la Grundlage. Mais ils peuvent aussi être compris à partir de la réflexion seconde qui leur donne naissance, ils deviennent alors ces « positions réfléchies » ressaisies dans l’unité d’un système que sont les sciences particulières de la Doctrine de la science, parties de la philosophie exposées comme telles depuis la Nova methodo. Ces points de vue sont un fil conducteur pour une lecture globale de l’œuvre fichtéenne, je reprends rapidement leur présentation pour la clarté d’ensemble de mon exposé :

Le premier des quatre points de vue représente le réalisme dogmatique ou « qualitatif » dans la Grundlage de 1794 (le Moi est effet du Non Moi). Philosophie théorique de la nature, il est appelé matérialisme en 1804, posant la prévalence du simple objet, « principe de la sensibilité, croyance en la nature, matérialisme »[140]. Dans le même sens, en 1799, la fin de la Nova methodo[141] précisera que la philosophie de la nature regarde comment le monde nous est donné ; on prend seulement en compte la direction centripète de la donation, on ne rend pas raison de cette donation elle-même.

Le deuxième point de vue représente l’idéalisme dogmatique de 1794 (le Non Moi comme accident du Moi). Il conçoit le monde à partir du sujet seulement ; à l’exact opposé du premier point de vue, on ne prend ici en compte que la direction centrifuge ; on peut expliquer l'existence du monde, mais pas sa nécessité, ni la nécessité d'exister dans un monde. La liberté construit seule son propre monde, qui est ici une « loi d'ordre et de droit égal dans un système d'êtres raisonnables […] Une loi, et une loi source d'ordre et d'égalité pour la liberté de plusieurs, telle est selon cette façon de voir la vraie réalité et ce qui existe pour soi ; ce par quoi commence le monde et ce en quoi il a sa racine »[142]. Lorsqu’il condamne l'érection du « devoir froid et strict »[143] en Absolu, Fichte vise la philosophie pratique de Kant, rabattant, pour l’effectif, le pratique sur le droit. Ce point de vue est appelé légalité en 1804 et moralité inférieure dans l’Anweisung ; c’est la véritable position du droit, et la fausse position de la morale.

C’est au troisième point de vue qu’il appartient de représenter « la vraie moralité supérieure »[144]. Ce point de vue correspond à l'idéalisme supérieur, quantitatif, de 1794, pour lequel l'acte de position du Moi est fondement de l'acte de détermination ; il y a ici reconnaissance d'un acte de détermination, i.e. de limitation du Moi. Dans les termes de 1804 : l'acte de représentation est rapporté au sujet, comme « unité intelligible » qui ne « laisse la diversité qu'à l'objet. Point de vue de la moralité d'une action qui procède purement du Moi de la conscience et se développe dans l’infinité du temps ». Ce développement recèle déjà un dépassement du formalisme kantien, ce que l’Anweisung appellera une création dans le donné.

Le quatrième point de vue est celui de la philosophie de la religion, « claire connaissance du fait que ce qui est sacré, bon et beau [est] manifestation immédiate en nous, en tant que lumière, de l'essence intime de Dieu, son expression et son image »[145]. Proche du réalisme quantitatif de 1794, il y a ici affirmation d’une limitation réelle du Moi, d'une détermination indépendante du Moi, mais que le Moi reconnaît comme telle ; le Moi se sait être ou n'être que l'image de Dieu, même s’il ne comprend pas la genèse de cette image, mais vit seulement son inessentialité. Le religieux vit l’amour comme Affekt de l’Être, Affekt signifiant, comme le remarque Max Rouché[146] un sentiment qui a l’Être pour origine et non pour objet. Fichte. ne part pas ici de la réflexion du sujet, mais du point de vue – certes posé par cette réflexion – en tant que l’objet est principe de son rapport au sujet. C’est le réalisme du point de vue religieux lui-même. Le point de vue de la religion est envisagé pour lui-même dans la dixième et avant-dernière conférence. Sa spécificité s’affirme dans la primauté de l’amour sur la réflexion.

Nous sommes bien arrivés, avec la cinquième conférence, à la position du point de vue de la religion à partir de l’ensemble de la Doctrine de la science : la tâche assignée à la première section (ou partie) des exposés concernant les sciences particulières est donc remplie.

UNITÉ DE LA PHILOSOPHIE FICHTÉENNE.

La philosophie pratique et le système.

Au terme de la présentation des points de vue de l’éthique, du droit et de la religion, nous comprenons qu’il y a bien une philosophie pratique au sens d’un ensemble de connaissances philosophiques, ou sciences particulières du pratique, dans la philosophie fichtéenne. Cet ensemble ne se confond pas avec la Doctrine de la science elle-même, puisqu’au sein de ces points de vue demeure une philosophie de la nature, source d’une partie spécifiquement théorique, à qui est bien assignée une place, même si elle est difficile à situer dans l’œuvre[147]. A vrai dire, et selon la partition présentée à la fin de la Nova methodo, il nous faudrait aussi compter la religion dans cette philosophie théorique. Deux précisions permettent de justifier l’insertion de la religion dans une philosophie pratique, la première précision concerne la religion elle-même, la seconde concerne le système dans son ensemble. Rappelons tout d’abord que Fichte fait de la religion un élément, voire un moment – si l’on considère la distinction, entre les quatre points de vue, en supérieurs et inférieurs – de la philosophie théorique. Mais, tout comme le Caractère de l’époque actuelle distinguait deux moments religieux – religion de la raison, puis religion de l’entendement[148] – l’Anweisung envisage deux moments religieux, une religion purement spéculative, et une dimension pratique de la « véritable religion »[149].

Deuxième précision qui nous permet de rattacher la philosophie de la religion à la philosophie pratique, à propos de ce que Fichte appelle les « postulats », postulats qui ne sont certes pas, en un premier temps du moins, à comprendre au sens des postulats kantiens de la raison pratique. La preuve très simple en serait que ces postulats, qui désignent des philosophies particulières, droit et religion, sont aussi bien issus de la philosophie pratique que de la philosophie théorique. Postulat signifie simplement ici demande[150] : demande émanant de la philosophie de la nature et destinée à la philosophie pratique pour ce qui est du droit : c'est pour construire une nature cohérente, incluant les arbitres humains, que la philosophie de la nature s'adresse à la philosophie pratique et lui demande de déterminer les rapports des volontés libres dans le monde sensible et du point de vue de ce dernier monde : il faut pouvoir « placer les volontés libres dans un certain rapport de connexion mécanique et d’action réciproque »[151]. De même, « la philosophie de la religion est celle du postulat que la philosophie pratique adresse à la philosophie théorique à la nature, qui est censée, par une loi suprasensible, s'adapter à la moralité »[152].

On peut ne pas définir ces postulats au sens kantien. Demeure qu’il faut bien fonder cette demande, et noter que les postulats fichtéens correspondent tout de même à une exigence, qui est celle, pour chaque point de vue ou science philosophique particulière, de recouvrir la totalité des autres points de vue à partir du sien. Cette demande n'est plus kantienne, au sens où la théologie fichtéenne est d'abord théorique. Mais cette demande demeure fondée sur une exigence, et sans même développer maintenant l’enracinement de cette exigence dans la réflexion, on doit souligner qu’en adressant à la philosophie de la nature une demande pour qu’elle s’adapte à la moralité, les postulats fichtéens remplissent bien la fonction des postulats kantiens en rattachant à l’exigence première les conditions de possibilité de sa réalisation.

Nous partons ici du système, et sa constitution elle-même nous renvoie vers son fondement, l’exigence première. Voilà qui devrait suffire à démontrer que Fichte propose bien une définition complète de la philosophie pratique, caractérisée tout à la fois par son objet – les actions et intentions étudiées dans les sciences philosophiques particulières – et par son fondement : l’exigence d’autonomie. Mais se hâter de conclure ainsi serait oublier que les postulats qui rapportent au fondement les parties du système émanent tout autant de la philosophie théorique – le réalisme dogmatique ou la philosophie de la nature – que de la philosophie pratique. Par là, si l’on veut rapporter la constitution de la philosophie pratique – éthique, philosophie du droit à la demande de la philosophie théorique, philosophie de la religion demandée par l’éthique – au fondement de l’ensemble de la Doctrine de la science, il nous faut auparavant rapprocher l’éthique de ce fondement et préciser qu’il y a bien, dans la Doctrine de la science, un privilège de l’éthique.

Le privilège de l’éthique.

Fichte affirme clairement un tel privilège. Ce privilège pourrait ne s’affirmer qu’au sein de la philosophie pratique elle-même, l’éthique apparaissant maintenant comme science première dans la philosophie pratique, puisque le droit et la religion font partie de la philosophie des postulats. Mais le privilège de l’éthique concerne l’ensemble des sciences particulières, ainsi lorsque Fichte affirme ce privilège, il se borne à signaler entre parenthèses que l’éthique est donc aussi également au-dessus de la philosophie du droit : « l’éthique se situe au-dessus de toute science philosophique particulière (donc aussi au-dessus de la doctrine du droit) »[153].

Avant d’expliquer ce privilège de l’éthique, il faut éclaircir la confrontation entre l’affirmation de la supériorité de l’éthique, et la même affirmation, en 1806, à propos de la religion. M. Gueroult a déjà commenté cette difficulté en essayant de la réduire, à l’aide tout d’abord de la cinquième conférence de l’Anweisung[154] qui présente le point de vue du cœur comme le plus élevé et le plus clair, puis en se référant à la dernière conférence de la Doctrine de la science 1804 qui affirme la supériorité absolue de la religion lorsqu’elle s’aperçoit à partir d’elle-même, contre une vision partielle que lui accorderait la spéculation. Nous aurions tendance à prendre la direction opposée, d’abord parce que le passage auquel se réfère M. *Gueroult dans l’Anweisung n’est pas des plus clairs. Il y est bien question de supériorité, mais en parlant de points de vue supérieurs au pluriel, puis au singulier[155]. Pourquoi le pluriel ne s’adresserait-il pas au deux points de vue supérieurs, éthique et religion, le singulier désignant alors non pas la religion, mais le cinquième point de vue, celui de la science ? La référence à la Doctrine de la science 1804 pourrait alors se comprendre non pas comme l’affirmation de la supériorité absolue de la religion en elle-même, mais comme la synthèse, dans et par le cinquième point de vue, de la religion et de la moralité. Je retrouve sur ce point les conclusions du chapitre quatre de ma thèse, Pratique et réalité : que la spéculation s’anéantisse devant Dieu, ou que la réflexion devienne amour, ne devrait pas s’interpréter comme un retour de la spéculation vers le point de vue de la religion, mais comme le devenir de l’ensemble des points de vue de la Doctrine de la science.

Je peux maintenant revenir vers le privilège de l’éthique parmi les sciences particulières. Ce privilège rapproche l’éthique du point de vue le plus élevé, celui de la Doctrine de la science. Cela s’explique par la proximité entre le premier principe de l’éthique – la loi morale comme exigence d’autonomie – et le premier principe de la Doctrine de la science, l’intuition intellectuelle comme savoir absolu. C’est à cette proximité que Fichte pense lorsqu’il affirme que l’éthique occupe la plus haute place entre les parties de la philosophie : pour fonder l’éthique écrit-il, il faut partir d’un principe plus élevé, à partir duquel sera fondé l’individualité[156]. Ce principe est celui de la réflexion, réflexion qui doit provenir d’une limitation et réflexion par laquelle l’être raisonnable fini prend conscience de lui-même. Avant de déterminer l’individualité comme condition de la conscience de soi, l’éthique exprime la réflexion la plus originaire de la conscience de soi, qui se trouve en nous avant toute activité philosophique[157]. On est alors très proche, et c’est le sens du début du § 3 de la Sittenlehre, de l’intuition intellectuelle du philosophe se superposant à l’intuition intellectuelle réelle ou autoposition du Moi pur : « Nous qui philosophions étions de simples spectateurs d’une auto-intuition du moi originaire ; ce que nous exposions n’était pas notre pensée, mais une pensée du moi, l’objet de notre réflexion était lui-même une réflexion »[158]. La loi morale est bien l’expression dans et pour un sujet de cette « autoréflexion » originaire. Mais au lieu d’observer, comme le philosophe, les lois de cette réflexion dans son agir nécessaire, le sujet moral vit immédiatement cette autoréflexion comme un commandement.

La réflexion.

Nous avons donc maintenant une double réponse, à la question de la définition de la philosophie pratique comme étant à la fois exigence fondamentale et système, et au problème posé par la réponse du système fichtéen à la question précédente, problème de la spécificité d’une philosophie pratique dans un système où tout peut être dit pratique[159]. Une philosophie pratique comprenant des sciences particulières se fonde, tout comme l’ensemble de la Doctrine de la science sur une réflexion première. Seulement l’éthique, tout comme la religion d’ailleurs[160], ne comprend pas génétiquement le fondement qu’elle exprime comme exigence. C’est pour cela que la philosophie morale (Sittenlehre) doit construire le rapport de l’éthique au fondement de la Doctrine de la science. Une fois dans l’éthique elle-même, l’autonomie fichtéenne n’est plus qu’un commandement[161] que le sujet moral peut entendre sans en comprendre l’origine. Il semble alors que nous retrouvions le fait de la raison kantienne. Pourtant Fichte se distingue nettement de Kant en affirmant que la loi morale ne s’impose pas à nous[162] ; mais précisément, si la loi morale ne s’impose pas, c’est parce qu’elle se confond avec la réflexion qu’elle exprime et qui est la réflexion la plus originaire de la conscience, ce qui est la raison même pour laquelle le sujet moral peut entendre immédiatement la loi.

Le caractère obligatoire est dû à la division qui accompagne la réflexivité première, division en sujet et objet que nous avons analysée dans sa reproduction scientifique par l’intuition intellectuelle du philosophe. C’est parce qu’en matière de réflexion originaire le Moi lui-même est divisé en un concept (objet, repos) et une intuition (sujet, acte), que cette division est contradictoire et doit être réduite par l’exigence d’autonomie. Si nous ne nous trouvions pas nous-mêmes dans la loi morale[163], il n’y aurait pas de loi morale, ou du moins cette autonomie ne serait source d’aucune obligation. Nous avons étudié cela dans le premier moment de cette partie consacrée à la philosophie pratique de Fichte. Il importe maintenant de faire la part entre l’exigence, fondement propre de la philosophie pratique, et la réflexion, fondement de l’ensemble de la Doctrine de la science. La distinction de l’Anweisung[164], entre une réflexion qui fragmente le monde et une réflexion qui divise, non l’objet, mais la réflexion sur l’objet, nous est ici utile. On pourrait en effet avancer que plus la moralité se rapproche de la réflexion première, plus elle s’éloigne de la seconde forme de réflexivité, réflexion qui prend la réflexion pour objet et qu’accomplit le théoricien de la science. La réflexion première demeure fondement du système fichtéen, tant de la Doctrine de la science dans son ensemble que de la philosophie pratique (éthique) en particulier. Mais la philosophie pratique déduit à partir de cette réflexion première ce que le sujet moral vit sous forme d’impératif, alors que le théoricien de la science, en observant cette réflexion première, découvre les actes nécessaires de l’esprit humain et construit une philosophie systématique.

Au-delà d’une opposition simple et indépassable entre la vie du sujet moral et la construction du théoricien de la science, il y a, entre l’impératif développé dans la philosophie pratique et la réflexion de la Doctrine de la science, une distinction, constitutive de ces deux moments du système, parce qu’elle illustre leur rapport à la réflexion première. La philosophie pratique déduit les devoirs et la possibilité de leur accomplissement à partir de l’intuition intellectuelle, le théoricien de la science déduit la philosophie pratique, et d’autre sciences particulières encore, à partir de la réflexion sur la réflexion première.

Conclusion. Éthique et philosophie.

Au terme de ces considérations sur la philosophie pratique, avec l’étude d’une philosophie dans laquelle tout portait à croire que l’éthique en constituait, sinon le centre, du moins l’inspiration première, nous en arrivons à séparer éthique et philosophie, non seulement en faisant de la première une simple partie de la dernière, mais en distinguant de plus leurs modalités de constitution. L’éthique fichtéenne se construit à partir de la simple conscience de soi opposant le Moi pur au Moi empirique, alors que la philosophie première – la Doctrine de la science comme philosophie première, construisant le savoir absolu – tout comme la philosophie dans son ensemble, Doctrine de la science en tant que système des sciences particulières, se construisent par une réflexion sur la conscience de soi elle-même, réflexion développée, dans la Doctrine de la science comme système, par une synthèse quintuple qui comprend la déduction de l’éthique.

Cette distinction entre éthique et philosophie, ou entre l’éthique et la Doctrine de la science comme système, se comprend mieux encore lorsque l’on compare l’œuvre de la Doctrine de la science construisant le système des sciences particulières, avec celle de la philosophie morale ou de l’éthique comme philosophie et non pas comme simple attitude du sujet moral. Il y a une nouvelle division quintuple dans la philosophie morale, lorsque le point de vue de l’éthique exprime les autres points de vue. Cette division, qui s’opère à partir du point de vue de l’éthique, ne peut se superposer à la division de la Doctrine de la science dans son ensemble déduisant l’éthique. Dans les sciences particulières comme l’éthique, il y a bien réflexion philosophique (reproduction de la réflexion et division quintuple), mais pas à partir du point de départ absolument premier qui est l’intuition intellectuelle comme savoir absolu. On peut même comprendre que le rapport de l’intuition intellectuelle au premier principe de chaque science particulière n’est pas l’affaire des sciences particulières, mais de la Doctrine de la science. Ainsi les ouvrages de philosophie pratique ne commencent à constituer la philosophie pratique proprement dite qu’après un premier moment, « Déduction du concept de droit », ou « Déduction du principe de la moralité » pour les deux premiers textes de philosophie pratique, et ce premier moment ne détermine rien quant au contenu de chaque science particulière. Cela n’est pas étonnant puisque la possibilité de sciences philosophiques particulières n’est pas construite par ces sciences elles-mêmes, mais par la réflexion de la Doctrine de la science.

Il faut néanmoins nuancer cette séparation entre éthique et Doctrine de la science, non seulement parce que l’éthique demeure une partie de la Doctrine de la science, mais aussi parce qu’on ne comprendrait plus le privilège de l’éthique affirmé par Fichte. La raison de ce privilège étudié ci-dessus est que l’éthique se fonde sur la réflexion première de la conscience de soi, qu’elle est ainsi plus près de ce fondement que les autres sciences particulières. Et précisément, c’est une même chose que d’affirmer ce privilège de l’éthique sur les sciences particulières ou parties de la philosophie, et de rapprocher l’éthique de la Doctrine de la science. Car la réflexion première diffère bien de la réflexion philosophique par son objet[165], mais pas dans son acte. C’est le même acte réflexif qui, répété, divise le monde en constituant le savoir ordinaire, ou qui, appliqué à la détermination du monde elle-même, produit la division quintuple de la Doctrine de la science. La cinquième conférence de l’Anweisung le rappelle[166], la Doctrine de la science 1804 avait aussi souligné[167] ce caractère inséparable des deux divisions, celle du savoir ordinaire en être et pensée (objet et sujet, repos et acte dans les termes des exposés antérieurs), et celle du savoir philosophique présentée par la 1804 comme division en trois absolus.

Interprétons, en conclusion de ce mémoire, le caractère inséparable des deux réflexions, la réflexion « ordinaire », qui construit le savoir du monde et s’enracine dans une conscience de soi comme libre vouloir, et la réflexion philosophique, qui réfléchit sur la première réflexion pour construire l’ensemble de la connaissance philosophique. Seule la première réflexion donne explicitement naissance au commandement moral à partir d’une exigence fondamentale. Mais cela ne veut pas dire que la deuxième réflexion, la réflexion de la Doctrine de la science au sens étroit d’une philosophie première, soit étrangère à toute exigence. Toutes deux sont des efforts d’autocompréhension et naissent en cela d’une exigence. Mais seule l’éthique construit, à partir de cette exigence, un système d’obligations (devoirs).

Nous avons vu, dès l’éthique kantienne, que le fondement de l’obéissance n’était pas la connaissance de l’inconditionné, mais, avec le concept kantien de personnalité[168], la reconnaissance de mon identité intelligible, qui fait de la loi morale ma loi[169]. Il en va de même chez Fichte. L’éthique comme fondement de l’obligation ne commence pas avec le savoir absolu, mais avec la reconnaissance du Moi pur comme de mon identité véritable, et la nécessité qui s’ensuit de résorber la scission entre Moi pur et Moi empirique. Cette nécessité s’exprime par la transformation du concept de Moi construit dans l’intuition intellectuelle en l’idéal « d'un Moi, dont la conscience ne serait déterminée par rien d'extérieur, mais qui plutôt déterminerait par sa conscience tout ce qui lui serait extérieur »[170]. Le Moi fini objective[171] son effort d’autocompréhension dans l’idéal d’un Moi par lequel le concept de Moi pur devient source d’une exigence : la réalisation de l’autonomie. C’est alors que l’autonomie du Moi pur devient loi morale. Avec ce que nous pouvons appeler, en éveillant des consonances freudiennes, l’idéal du Moi, l’éthique se déploie entre le concept de Moi pur et l’idée d’un monde rationnel. Cette idée du monde rationnel forgée comme idéal du moi est objectivation du Moi pur, elle n’est donc que Moi, c’est-à-dire ici raison, réflexivité, autonomie. Il n’est plus question ni de sensibilité, ni même, chez Fichte dépassant le concept de personnalité, d’individualité :

« Le Moi comme idée est l’être raisonnable, dans la mesure où celui-ci d’une part a parfaitement représenté en soi-même la raison en général, est effectivement absolument raisonnable et uniquement raisonnable [wirklich durchaus vernünftig, und nichts, als vernünftig ist] ; c’est-à-dire : dans la mesure où il a cessé d’être un individu, comme il l’était en vertu d’une limitation seulement sensible ; et d’autre part dans la mesure où l’être raisonnable a précisément réalisé la raison en dehors de lui-même dans le monde »[172].

Cette réalisation de l’autonomie est autoproduction, et il était donc important de souligner, dès l’éthique kantienne, non seulement que la vie morale est autoproduction de la raison[173], mais encore que, pour qu’il s’agisse vraiment d’une production de soi par soi, la raison doit prendre en charge les conditions de son propre développement : c’est la fonction des postulats ainsi que de la philosophie politique kantienne, c’est aussi la fonction de la « philosophie des postulats », droit et religion, chez Fichte.

Mais pour être réalisation de l’autonomie, et autoproduction du Moi par lui-même en ce qu’il a de plus pur, l’éthique ne se confond toujours pas avec la connaissance du Moi pur ou savoir absolu. La onzième section de la Seconde introduction à la Doctrine de la science, qui explicite le déploiement de l’éthique entre Moi pur et Moi idéal, précise en même temps le rapport entre éthique et philosophie première. Fichte nous demande de ne pas confondre le moi pur et le Moi idéal : « Je dois encore traiter […] de la confusion du Moi, comme intuition intellectuelle, dont part la Doctrine de la science, et du Moi comme idée avec lequel elle s’achève »[174].

La nécessité de ne pas confondre Moi pur et Moi idéal se comprend par la distinction entre éthique et savoir absolu. Par ce Moi idéal ou idéal du Moi, l’éthique donne un contenu au savoir absolu. Du point de vue du savoir absolu au contraire, lorsque le savoir absolu se sait lui-même comme n’étant pas l’Absolu, loin de pouvoir se donner un contenu, il s’efface devant l’Absolu et aboutit alors, mais en connaissance de cause, au même résultat que le point de vue religieux. Et par cette abnégation, ni le point de vue religieux, ni celui de la Doctrine de la science comme philosophie première, ne peuvent être sources d’aucune obligation, même s’ils sont fondés sur une exigence d’autocompréhension.

La philosophie de Fichte nous a donc tout d’abord appris qu’une exigence peut être fondement, cela est clair dès l’effort originaire du § 5 de la Grundlage. Mais elle nous apprend aussi, par la distinction entre l’éthique et la Doctrine de la science au sens d’une philosophie première, ou par la détermination de l’éthique comme partie de la Doctrine de la science dans son ensemble, que le fondement peut être exigence sans donner naissance à une philosophie pratique comme système d’obligation, enveloppant ses conditions de réalisation. Pour rapport la philosophie pratique à la Doctrine de la science, il faut retrouver une exigence dans tout effort d’autocompréhension, et considérer que la philosophie pratique déploie cet effort en déduisant un système d’obligations, subordonné à la réalisation de l’autonomie comme fin suprême. et ce rapport détermine encore la philosophie pratique comme simple partie de la Doctrine de la science.

Je serais donc ici en retrait par rapport à ma dernière conférence, Philosophie pratique et identité de la philosophie, où j’essayais de réunir autocompréhension et normativité. Je voudrais, pour conclure ce mémoire, préciser cette tentative de rapprochement en me servant de la distinction apparue entre éthique et Doctrine de la science, distinction qui met a contrario en relief les conditions d’un rapprochement entre autocompréhension et normativité. Si la Doctrine de la science, comme philosophie première, construisait effectivement un savoir de soi, avec l’habileté dont fait preuve l’éthique pour déterminer un idéal du Moi, il nous serait bien difficile de distinguer éthique et philosophie première, voire philosophie morale et philosophie en général. La filiation kantienne nous a appris que la genèse de l’obligation s’enracine dans la reconnaissance d’une séparation d’avec son identité véritable, ou, pourrait-on dire de façon non idéaliste, dans la dénégation[175] de son identité de fait pour s’imaginer tel que nous ne sommes pas. C’est alors que naît l’obligation de le devenir. L’antique figure du philosophe, législateur de l’esprit humain[176], s’explique par cette construction d’une identité idéale[177]. Si donc la philosophie première construisait une telle identité idéale dans un savoir de l’Absolu, nous retrouverions dans la philosophie première ce qui constitue l’obligation, la connaissance d’une séparation d’avec son identité véritable, et il ne serait pas faux d’attacher alors la normativité de l’éthique à toute entreprise philosophique d’autocompréhension.

Mais que penser des philosophies qui ne construisent plus d’identité idéale, ou qui prétendent pouvoir les refuser ? Peut-on leur accorder une exigence spécifique et fondatrice, sans les rapporter sinon à une éthique, du moins à une normativité constitutive ? Je conserverai volontiers, de cette étude concernant la philosophie pratique, le statut fondamental de l’exigence, en faisant de ce statut un caractère propre de l’activité philosophique en général. Le philosophe, toujours préoccupé au moins autant par sa propre démarche que par son objet, rencontre nécessairement comme une exigence le retour sur soi lui permettant de comprendre les fondements de sa propre démarche. Ici encore le faire détermine un être, même si ce n’est plus, tout d’abord, que celui de la connaissance et non du sujet agissant. Mais cette exigence d’abord méthodologique, est aussi effort du théoricien, parce qu’elle s’oppose à l’attitude naturelle qui ne revient pas en arrière, mais prétend construire son œuvre en allant de l’avant. Il y a dans l’attitude naturelle un certain dogmatisme du sens commun. A ce dogmatisme s’oppose l’attitude « antinaturelle »[178] de la philosophie, qui, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste, cherche à s’assurer de la méthode pour construire son objet. Il est inévitable que son objet soit alors, au moins pour un temps, sa propre assurance. Ne retrouve-t-on pas ici, dans l’exercice le plus fondamental et le plus spécifique de la philosophie, la construction de soi qui est l’objet de l’éthique ? Concluons donc, après avoir distingué l’éthique de la philosophie, qu’il nous faut reconnaître, au cœur de la philosophie même, cette exigence, et que le privilège de l’éthique consiste alors à exprimer ce qu’il y a de plus fondamental et de plus spécifique dans l’exercice de la philosophie.

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[73]. Nous revenons sur ce sens restreint de l’éthique ci-dessous. Je souligne pour l’instant que Fichte utilise très peu le terme d’éthique (Ethik), le français « éthique » traduit le plus souvent Sittenlehre.

[74]. Cf. L. Vincenti, « Le statut du pratique dans la Grundlage », in Kairos N°17, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2001, p. 135.

[75]. Recension de l'Enésidème, 1794 ; trad. fr. P.P. Druet, Recension de l'Enésidème ou sur les fondements de la philosophie élémentaire enseignée à Iéna par M. le Prof. Reinhold dans Rapport clair comme le jour... et autres textes, Paris, Vrin, 1985 pp. 170/171fr, GA I 2 p. 65 : « Si le Moi de l'intuition intellectuelle est parce qu'il est et est ce qu'il est, il est, dans cette mesure, autoposant, absolument autonome et indépendant. Par contre, le Moi de la conscience empirique, en tant qu'intelligence, n'existe qu'en relation à un intelligible : il est, dans cette mesure, dépendant. Or ce Moi, que nous venons de voir entrer en opposition avec lui-même, ne doit pas constituer deux Moi(s), mais bien un seul Moi... Comme le Moi ne peut renoncer à son caractère d'autonomie absolue, il en résulte un effort pour faire dépendre de soi l'intelligible, afin d'unifier par là le Moi qui représente cet intelligible et le Moi qui se pose lui-même. Telle est la signification de l'expression : la raison est pratique. »

[76]. Cf. L. Vincenti, Pratique et réalité, p. 84. Également, sur le caractère tout à fait originaire du pratique, et donc fondamental pour le théorique aussi, ma récente conférence sur Philosophie pratique et identité de la philosophie, Montpellier, 25 mai 2004.

[77]. Sur ce cercle : Nova methodo, § 13, « la conscience de l’agir n’est possible qu’à la condition de la liberté, celle-ci n’est possible qu’à la condition d’un concept de fin, lequel n’est lui-même possible qu’à la condition de la connaissance de l’objet, laquelle à son tour n’est possible qu’à la condition de l’agir », trad. I. Thomas-Fogiel p. 216.

[78]. Doctrine de la science nova methodo, § 13, trad. fr. I. Radrizanni, Lausanne, l’Age d’homme, 1989 p. 188 ; Manuscrit Krause éd. E. Fuchs Meiner 1994 p. 143 ; GA IV 2 134/135. L’expression citée n’est pas dans le manuscrit Halle mais le texte s’y rapporte.

[79]. Cf. Das System der Sittenlehre nach den Prinzipien der Wissenschaftslehre, 1798 ; trad. fr. P. Naulin, Le système de l'éthique selon les principes de la Doctrine de la science, Paris, P.U.F., 1986, p. 28.

[80]. Par exemple Grundlage § 5 II, note, trad. A. Philonenko p. 132. Seconde introduction à la Doctrine de la science, V, trad. fr. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1980, p. 274 & I. Thomas-Fogiel, Nouvelle présentation de la Doctrine de la science, Paris, Vrin, 1999, p. 131.

[81]. L. Vincenti, Pratique et réalité, pp. 56-70.

[82]. Ce point est plus clair dans les œuvres ultérieures. Il tend parfois à être occulté par les traductions qui introduisent une majuscule pour l’Absolu, là où l’allemand utilise une minuscule et ne vise que l’adjectif substantivé qualifiant alors le savoir absolu. Ainsi la traduction de la Doctrine de la science 1801 par B. Vancamp (Darstellung der Wissenschaftslehre, 1801 / 1802, GA II, 6 ; trad. fr. Exposé de la Doctrine de la science (1801/1802) B. Vancamp, Bruxelles, Leeber Hossmann, 1987), p.ex. GA II 6, p. 169, § 16 l. 16 ou § 21 GA II 6 p 193, plusieurs occurrences.

[83]. Seconde introduction à la Doctrine de la science, trad. fr. A. Philonenko, Première et seconde introductions à la Doctrine de la science dans Oeuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980 p.270 et I. Thomas-Fogiel, Nouvelle présentation de la Doctrine de la science, Paris, Vrin, 1999 p. 126. Cf. L. Vincenti, Pratique et réalité, p. 60.

[84]. Système de l’éthique (1798) § 15 pt. 4, GA I 5 158, trad. fr. P. Naulin Paris, P.U.F., 1986, p. 163.

[85]. Ibid., § 3 p. 58. Également, p. 30, « je veux être autonome ».

[86]. Philosophie pratique et identité de la philosophie, Montpellier, 25 mai 2004.

[87]. L’expression de « point de vue » n’est pas ici employée dans la rigueur que lui donnera la doctrine et que nous examinons ci-dessous. A proprement parler, le Moi pur n’est pas un point de vue, mais ce qui est vu et qui est, comme contenant la possibilité de la vision (réflexion), condition de tous les points de vue. L’éthique constitue bien un point de vue qu’il nous faudra mieux déterminer en rapport à ce que sont les autres points de vue dans la doctrine, de 1799 à 1806. Pour une présentation synthétique de cette notion de point de vue dans l’œuvre fichtéenne : B. Bourgeois, Le vocabulaire de Fichte, Paris, Ellipses, pp. 45-47.

[88]. Cf. L. Vincenti, Pratique et réalité, pp. 64-65 : « "En quelque façon", c'est-à-dire qu'il pratique, dans sa forme, l'acte de réflexion pure que la déduction philosophique attribue au premier principe ».

[89]. Il semble ici que l’intuition intellectuelle du sujet philosophant soit chez Fichte condition de la moralité, du moins de ce que l’Anweisung (Anweisung zum seligen leben, 1806, trad. fr., M. Rouché, Initiation à la vie bienheureuse, Paris, Aubier, 1944) appellera moralité supérieure et qui donne sens au commandement moral. Pour ne pas réserver la moralité aux philosophes, il faut tenir compte primo, du fait que tout un chacun doit être en mesure d’effectuer l’intuition intellectuelle (cf. Seconde Introduction à la doctrine de la science, IV, 271 trad. A. Philonenko, 127/128 trad. I. Thomas-Fogiel, GA I 4, p. 216), secundo, qu’il existe une tendance fondamentale à réfléchir sur soi (cf. Sittenlehre, §11, p. 138fr, 141 Meiner, GA I 5, p. 136). Que cette tendance soit antérieure à l’effectuation de l’intuition intellectuelle par le philosophe se comprend au sens où cette dernière intuition intellectuelle n’est possible qu’en se superposant à une réflexivité première du « Je pense » qui accompagne tout acte de conscience (cf. L. Vincenti, Pratique et réalité p. 62). La tendance fondamentale à réfléchir sur soi est donc bien antérieure à la philosophie, et c’est toujours chez Fichte la loi morale, expression de la tendance originaire à réfléchir sur soi, qui nous conduit vers la connaissance de soi. Nous retrouvons alors la quatrième section de la Seconde introduction. Ces points seront repris dans le dernier moment de la troisième partie consacrée à Fichte infra : « la réflexion », et dans notre conclusion générale.

[90]. « Le fondement de la philosophie pratique en 1796-1799 » in Cahiers de philosophie - Fichte, le bicentenaire de la Doctrine de la science. Actes du colloque de Poitiers. Octobre 1994 – Lille – N°Printemps 1995 (avril).

[91]. Doctrine de la science nova methodo, § 13, trad. fr. I. Radrizanni, l’Age d’homme, 1989 p. 188, Thomas-Fogiel p. 222 ; Manuscrit Krause éd. E. Fuchs Meiner 1994 p. 143.

[92]. Ibid., trad. fr. I. Radrizanni p. 189.

[93]. Le système de l'éthique selon les principes de la Doctrine de la science, Paris, P.U.F., 1986, p. 28.

[94]. « Ce qui est pratique est agir en général, or l’agir se présente constamment, tout au long des Principes, étant donné que c’est sur lui que repose tout le mécanisme de la raison » Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science, in Doctrine de la science Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 306.

[95]. Pour l’éthique, c’est « le moi empirique ou individuel » qui « doit être nommé Moi ». Le système de l'éthique, Paris, P.U.F., 1986, § 19 p. 242.

[96]. Ibid. p. 243.

[97]. Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science, in Doctrine de la science Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 306/307.

[98]. C’est-à-dire non pas, comme nous le verrons ci-dessous, le point de vue du réel, de l’objet ou du monde, mais le point de vue de l’idéal, du sujet ou du vouloir, même s’il reste bien question pour ce sujet d’agir dans le monde.

[99]. En français, dans la traduction d’I. Radrizanni seulement.

[100]. Cf. supra note 97 p. 34.

[101]. Cette partition est reprise dans la dernière conférence de la Doctrine de la science de 1804 et dans la cinquième conférence de l’Initiation à la vie bienheureuse. J’ai déjà étudié ces points de vue dans ma thèse, Pratique et réalité, chapitre quatre, pp. 136-138.

[102]. Les parties de Doctrine de la science, se sachant elles-mêmes comme parties, échappent ainsi à la partialité des systèmes rejetés dans le § 4E de la Grundlage. Ces systèmes peuvent aussi représenter chacun un point de vue, ainsi le réalisme dogmatique pour la philosophie de la nature (matérialisme), l’idéalisme dogmatique (qualitatif) pour la philosophie du droit, l’idéalisme qualitatif pour l’éthique, et le réalisme quantitatif pour la religion. Ces correspondances ont été présentées dans ma thèse Pratique et réalité, chapitre quatre, pp. 136-138, ainsi que dans L’œuvre de Fichte et la Destination de l’homme, revue de l’enseignement philosophique, N°3, janvier-février 1996. Elles permettent d’apercevoir une continuité dans la conception d’ensemble de la Doctrine de la science, de 1794 à 1806.

[103]. Le système de l’éthique. Fichte. Luc Vincenti, Paris, Ellipses, 2000, pp. 30-33. il s’agit du Ch. 1, § 3, trad. P. Naulin Paris, P.U.F., p. 55 : « Je suis l’identité du sujet et de l’objet […] s’annonce comme une loi pour ta liberté ».

[104]. Cf. supra p. 31.

[105]. Nous citons la dernière conférence de la Doctrine de la science de 1804 dans la traduction de D. Julia, Paris, Aubier, 1967, ici, comme pour les citations précédentes, p. 265.

[106]. Cf. Le système de l'éthique, trad. P. Naulin, p. 227, déduction du droit qui a été commentée dans Le système de l’éthique. Fichte. Luc Vincenti, Paris, Ellipses, 2000, pp. 38-41. Il faut ici remarquer que ce rapport entre droit et morale, lu à partir de la morale et non plus à partir du droit, éclaire la position kantienne. Fichte rejoint ici la position kantienne étudiée dans notre précédente partie : le droit peut être construit indépendamment de l’éthique, tout en étant requis par l’éthique. C’est alors à l’éthique, et non au droit, de thématiser les rapports entre droit et morale (éthique). Ainsi le contrat peut être chez Kant un devoir moral, sans qu’il n’y ait plus moyen de déduire l’obligation juridique à partir d’un engagement contractuel.

[107]. Le système du droit, Paris, P.U.F., 1986.

[108]. Fondement du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science, trad. A. Renaut, Paris, P.U.F., 1984 p. 70, GA I 3, p. 360.

[109]. Je me réfère encore ici à la première partie de la Nova methodo, exposé de la Doctrine de la science qui sous-tend les premiers textes consacrés aux sciences particulières du pratique.

[110]. Je pense au premier ouvrage de Xavier Léon, La philosophie de Fichte, Paris, F. Alcan, 1902.

[111]. Fondement du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science, trad. A. Renaut, Paris, P.U.F., 1984 p. 70, GA I 3, p. 360.

[112]. Ibid. § 4 théorème 3, trad. A. Renaut p. 63, GA I 3, p. 354.

[113]. Cf. supra p. 35.

[114]. Doctrine de la science de 1804, dernière conférence, traduction de D. Julia, p. 265, « Zum Behuf der bürgerlichen Industrie », SW X 313 (SW pour les Sämmtliche Werke, éditées par I. H. Fichte ; Berlin, 1845-1846 ; Bonn, 1834-1835. Réédition Walter de Gruyter, Berlin, 1971).

[115]. GA III 5, cité en présentation de la Nova methodo, p. 13.

[116]. J.C. Goddard, Querelle de l’athéisme, Paris, Vrin, 1993, p. 34.

[117]. Anweisung, 7ème Conférence, p. 212 de la traduction française.

[118]. Ce texte est traduit à la suite de la traduction par Alexis Philonenko de la Doctrine de la science 1801, Paris, Vrin, 1987.

[119]. A. Philonenko, « Commentaire du Fondement de notre croyance », in Doctrine de la science 1801-1802, T. II, Paris, Vrin, 1987, p. 211.

[120]. « L’œuvre de Fichte et la Destination de l’homme », Revue de l’enseignement philosophique, N°3, janvier-février 1996.

[121]. Destination de l’homme, p. 78 trad. J.C. Goddard, Paris, Garnier Flammarion, 1995,et GA I 6, p. 211/212.

[122]. « ...la conscience d’une chose hors de nous n’est absolument rien d’autre que le produit de notre propre faculté de représentation », Destination de l’homme, trad. J.C. Goddard, Paris, Flammarion, 1995, p. 140.

[123]. Livre II, fin, p. 145 trad. Goddard.

[124]. Jacobi, Lettre A Fichte, GA III 3 233-234, cité et commenté in I. Radrizanni, « Place de la Destination de l’homme dans l’œuvre fichtéenne » in Revue internationale de Philosophie, Fichte, Doctrine de la science nova methodo, N° 4, 1998, p. 678.

[125]. Livre II, fin, p. 180 Molitor, 148 Goddard.

[126]. Livre III, début, Goddard p. 152/153 ; la tendance est ici pulsion - Trieb - Molitor traduit par « instinct d’une activité absolue » p. 187/188.

[127]. Molitor p. 194, Goddard p. 157.

[128]. Destination de l’homme, trad. J. C. Goddard p. 157 & 158.

[129]. Destination de l’homme, trad. Goddard p. 165.

[130]. Destination de l’homme , trad. Goddard p. 176.

[131]. I. Radrizzani rappelle l’interprétation de M. Gueroult au début de son article « Place de la Destination de l’homme dans l’œuvre fichtéenne » in Revue internationale de Philosophie, Fichte, Doctrine de la science nova methodo, N° 4, 1998.

[132]. Anweisung, première conférence, p. 105 de la trad. de M. Rouché, SW V 407.

[133]. B. Bourgeois, L’idéalisme de Fichte, Paris, P.U.F., 1968, p. 110.

[134]. Nous ne distinguons pas ici, contrairement à l’usage hégélien, (cf. B. Bourgeois, Présentation de la Science de la logique, in Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques T. I, Paris, Vrin, 1979 p. 54), entre apparition et manifestation. S’il faut utiliser cette distinction, ne pourrait-on dire que, du point de vue religieux, l’amour serait manifestation de la vie divine, et serait donc du côté du concept ? La réflexion serait alors le phénomène, extériorisation de l’essence. Du point de vue de la Doctrine de la science elle-même, la réflexion de la conscience de soi étant identique, en sa forme, à la réflexivité de l’Absolu, c’est la réflexion qui devrait être manifestation. Mais la primauté de l’amour exprime le point de vue religieux.

[135]. Dans la Gesammtausgabe II 9.

[136]. Anweisung, 3ème Conf. p. 143 trad. M. Rouché, éd. F. Medicus, Meiner, 1954 p. 52 : « Dasein des Sein - notwendig ein - Selbstbewußtsein seiner (des Daseins) selbst, als bloßen Bildes, von dem absolut in sich selber seienden Sein, sein – müsse ». C’est un encouragement de constater que Jean-Christophe Goddard rapporte cette citation de l’Anweisung à la Doctrine de la science 1805 dans La philosophie fichtéenne de la vie, Paris, Vrin, 1999, p. 38.

[137]. Anweisung, 4ème Conf. p. 163 trad. M. Rouché, SW V 459/460.

[138]. Fondement du droit naturel, p. 45 trad. A . Renaut.

[139]. Anweisung, 4ème Conf. p. 163 trad. M. Rouché, SW V 459/460.

[140]. Wissenschaftslehre 1804, Conf. 28, p. 266 trad. D . Julia, GA II 8, p. 416.

[141]. Doctrine de la science Nova methodo, trad. fr. I. Radrizzani, Lausanne, L’Age d'homme, 1989, p. 305.

[142]. Anweisung, 5ème Conf. p. 171 trad. M. Rouché.

[143]. Anweisung, 7ème Conférence, 212 trad. M. Rouché.

[144]. Anweisung, 5ème Conf. p. 174 trad. M. Rouché.

[145]. Anweisung, 5ème Conf., p. 175 trad. M. Rouché.

[146]. Anweisung, 7ème Conférence, 208 trad. M. Rouché, note.

[147]. Cf. L. Vincenti, « Le statut du pratique dans la Grundlage », in Kairos N°17, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2001, début.

[148]. Die Grundzüge des gegenwärtigen Zeitalters, 1806 ; trad. fr. I. Radrizzani, Le caractère de l'époque actuelle, Paris, Vrin, 1990, 17ème Leçon. La hiérarchie entre la raison, point de vue inférieur ici, et l’entendement s’effectue dans des termes dont l’acception n’est plus kantienne. Je renvoyais à Schelling dans ma thèse, Pratique et Réalité, note 213 p. 159, on pourrait aussi penser à Jacobi, lettre A Weiss, 12 août 1812 : « il […] règne encore une certaine obscurité et confusion concernant la distinction entre l’entendement et la raison, sur laquelle repose au fond toute ma philosophie », cité par L. Guillermit « Le réalisme de Jacobi », introduisant sa traduction du David Hume et la croyance, Paris, Vrin, 2000, p. 73. Cf. également E. Cassirer, Les systèmes post-kantiens, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1983, note 15 p. 97.

[149]. Cf. Anweisung, 5ème Conférence, p. 179 trad. M. Rouché : « Les deux points de vue nommés en dernier lieu, celui de la science aussi bien que de la religion, sont simplement contemplatifs et spéculatifs <beschauend>, nullement actifs et pratiques en soi (...) Par contre le troisième point de vue, celui de la moralité supérieure, est pratique et incite à l'action. Et maintenant j'ajouterai : la véritable religion, bien qu'elle élève vers sa sphère l'œil de celui qui est possédé par elle, maintient <festhalten> pourtant sa vie dans le domaine de l'action, et de l'action proprement morale ». Reste à savoir où se situe, dans le système, ce deuxième moment religieux. S’il pouvait être un moment de la synthèse, par la science, des deux points de vue supérieurs, nous aurions une réponse à la question initiale du pratique fichtéen, tout à la fois fondement et système.

[150]. Cf. A. Renaut, Le système du droit, p. 51.

[151]. Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 307.

[152]. Ibid.

[153]. Système de l’éthique, § 18 pt. 3, p. 209.

[154]. SW V 464, trad. M. Rouché p. 169.

[155]. Anweisung, cinquième conférence, SW V 464, trad. M. Rouché p. 169 : « was ich, edlere Lebensteile, und das Herz nannte, sind die höheren, une klareren, und die höchste und allerklarste, von diesen Weisen ».

[156]. Système de l’éthique, § 18 pt. 3, p. 209 de la trad. P. Naulin.

[157]. Ibid., § 2 p. 35 de la trad. P. Naulin.

[158]. Ibid. § 3, p. 43 de la trad. P. Naulin.

[159]. « Ce qui est pratique est agir en général, or l’agir se présente constamment, tout au long des Principes, étant donné que c’est sur lui que repose tout le mécanisme de la raison ». Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science, in Doctrine de la science Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 306.

[160]. Mais la religion exprime l’amour, non la réflexion.

[161]. Le commandement serait ici à distinguer de l’exigence comme étant d’abord formulation de cette dernière, et demeurant comme tel un commandement même si je ne me sens plus absolument obligé d’y obéir.

[162]. Le système de l'éthique, trad. P. Naulin pp. 105/106, GA I 5, p. 108.

[163]. Seconde Introduction, Ve section, dans Oeuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980 p. 274 et I. Thomas-Fogiel, Nouvelle présentation de la Doctrine de la science, Paris, Vrin, 1999 p. 131, GA I 4 219.

[164]. Distinction annoncée à la fin de la quatrième conférence et développée au début de la cinquième.

[165]. Je le rappelle, l’objet de la réflexion première est le monde, l’objet de la réflexion philosophique est la réflexion première, cf. Anweisung, 5e conf. p. 167 trad. M. Rouché, SW V 463, et supra p. 57.

[166]. Anweisung, 5e conf. p. 167 trad. M. Rouché, SW V 463.

[167]. De la conclusion de sa 2e Conférence, au début de la 27e, La théorie de la science, Exposé de 1804, trad. D. Julia, Paris, Aubier, 1967 p. 37 et p. 253.

[168]. Concept que j’appelle ici kantien parce qu’il n’est pas fichtéen. La personnalité restera dans le deuxième point de vue ou moralité inférieure (légalité). J’ai développé ce point dans ma thèse Pratique et réalité, ch. 4 p. 131 note 119, et ch. 8 p. 242. Le dépassement fichtéen de la personnalité est à comprendre en rapport à l’abnégation de soi dans le point de vue religieux.

[169]. Cf. supra, dans la partie consacrée à « la philosophie pratique de Kant », « Éthique », « De la critique à l’éthique : identité et obéissance ».

[170]. Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, §3, p. 35 trad. A. Philonenko, GA I 2, p. 277.

[171]. Je pense ici à la détermination kantienne de l’idéal : « l’idée non seulement in concreto, mais in individuo, c’est-à-dire en tant que chose singulière déterminable, ou absolument déterminée par l’idée seule », Critique de la raison pure, Ak III 383.

[172]. Seconde introduction à la Doctrine de la science, XIe section, p. 310 trad. A. Philonenko, p. 167 trad. I. Thomas-Fogiel, GA III 3 p. 266.

[173]. Cf. supra p.

[174]. Seconde introduction à la Doctrine de la science, XIe section, GA III 3 p. 265.

[175]. Dénégation qui n’est pas forcément pernicieuse, elle peut aussi être le moteur d’une pratique transformatrice.

[176]. Kant, Critique de la raison pure, Architectonique, Ak III 542. Kant développe à plusieurs reprises la figure idéale du philosophe ; cf. Critique de la raison pratique, Ak V 108-109. On pourrait me reprocher de ne pas citer ici un passage apparemment contradictoire de Fichte, issu du Concept de la Doctrine de la science (1794), GA I 2 p. 147, trad. L. Ferry et A. Renaut, Paris, Vrin, 1984 p. 66 : « Notre présentation ne possède de vérité qu’à la condition d’être réussie et dans la mesure où elle l’est. Nous ne sommes pas les législateurs de l’esprit humain, mais seulement ses historiographes ». Par « législateur » Fichte désigne dans ce passage l’attitude dogmatique qui consisterait à prendre comme modèle de l’esprit humain une construction abstraite et arbitraire, pour imposer ensuite ses conséquences à la Doctrine de la science. On perdrait alors ce qui fait l’objectivité nécessaire de l’intuition intellectuelle, le fait qu’elle puisse s’effectuer en se superposant à une intuition intellectuelle réelle et parce qu’elle se superpose à une intuition intellectuelle réelle. Refuser au théoricien de la science le statut de législateur ne veut ici nullement dire que, dans sa constitution et non plus seulement dans sa méthode, l’éthique, et non plus seulement la Doctrine de la science, ne puisse prescrire des lois. Bien au contraire d’ailleurs, comme nous l’avons vu, ces lois ne peuvent m’être adressées que parce que j’en suis l’auteur. Ici encore, l’autonomie de la volonté nous rappelle que l’exigence morale n’est pas abstraite, du moins pour le sujet de l’intuition intellectuelle.

[177]. Ce qualificatif étant bien sûr à comprendre ici en préservant l’ensemble de ses ambiguïtés, au sens donc d’une inexistence réelle, doublée d’une construction imaginaire ou subjective, et présentant une perfection à atteindre.

[178]. Cf. Sittenlehre, trad. P. Naulin p. 235, GA I 5 p. 222. Le contexte est intéressant, Fichte utilisant le risque pris par la philosophie comme analogue au courage politique nécessaire pour rapporter l’État de fait à l’État de raison.