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Puissance, subjectivité, aliénation :
Lacan, Althusser, Holloway.

Intervention au colloque « La puissance des relations », , organisé par S. Ansaldi, 10 & 11 mars 2009, Montpellier III.

Ce titre combine trois notions et trois auteurs, qu’il présente dans l’ordre chronologique. Je les utiliserai dans un ordre différent, et il n’y a pas de correspondance bijective entre auteurs et notions : puissance & subjectivité correspondraient à Holloway, subjectivité et aliénation à Lacan, Althusser aussi, mais en prêtant un autre sens à l’aliénation. L’unité de la problématique est assez simple : les trois auteurs voient dans la subjectivité une aliénation, mais sous une forme tellement inévitable qu’elle en paraît indépassable, jusqu’à nous déplacer aux limites du concept d’aliénation, parce qu’on n’apercevrait plus de dépassement possible.

D’où les questions ici posées : en terme de puissance et en prenant pour l’instant puissance en un sens très général, « l’aliénation du sujet », ou « la subjectivation » (terme qui traduit bien à la fois le devenir sujet et l’assujettissement) des individus dans des situations d’exploitation, rapport de pouvoir ou de domination, est-elle inévitable au point de penser que la puissance ne puisse exister en dehors d’un point d’application[1] qui serait un sujet ? Et réciproquement : peut-on se passer de la forme sujet comme point d’application de la puissance ? Si oui, cela permet-il de dépasser l’assujettissement ? Et qu’advient-il alors du sujet ? Ces questions sont traitées par chacun des trois auteurs, mais de façons très différentes : question du rapport des individus à leur identité chez Holloway, question du sujet et de la jouissance (mais pas du sujet de la jouissance[2]) chez Lacan, question de l’idéologie et de la transformation sociale chez Althusser.

Les trois auteurs partent tous d’une certaine forme d’insatisfaction que l’on peut appeler aliénation, et paraissent converger vers l’impossibilité de dépasser la subjectivité : parce que la révolte se jouerait sur une autre scène que celle du pouvoir politique chez Holloway, parce qu’un au-delà hors d’atteinte est précisément ce qui institue le sujet chez Lacan, ou parce que nous sommes toujours déjà sujets pour Althusser. L’enjeu de cette conférence sera de déjouer cette impossibilité apparente de dépasser la subjectivité pour nous aider à penser le mouvement de la transformation sociale.

I. Pouvoir et puissance chez J. Holloway.

Inversion terminologique et renversement thématique.

Partons d’un problème terminologique posé par la traduction française du best-seller de J. Holloway, Change the world without taking the power[3], problème apparemment assez simple puisqu’il s’agit d’une inversion entre les catégories de pouvoir et de puissance. La traduction française utilise « pouvoir » pour ce qu’Holloway appelle le « power to » (pouvoir de, pouvoir faire) et « puissance » pour ce qu’Holloway appelle « power over » (pouvoir sur, domination). La puissance ici ne désigne plus, au sens spinoziste, une force diffuse qui anime l’univers et soutient chaque individu dans son être, mais plus simplement ce que nous appelons couramment pouvoir, au sens d’une relation interhumaine de domination. Alors que chez Holloway le pouvoir, « power to », ne désigne nullement une relation de domination mais devient, dans la traduction française, la forme proprement humaine de la puissance universelle, une manifestation de la liberté transformant le monde, le faisant sien, se reconnaissant dans ses actes et ses productions. Il y a donc quelque chose de positif dans le power to, « pouvoir » dans la traduction française, et quelque chose de réducteur et négatif dans le power over, puissance dans la traduction française. Pour illustrer la dimension positive du « pouvoir faire » ou « pouvoir », Holloway se réfère[4] à l’exemple mythique[5] du travail dans le Capital L.I Section III[6], où il s’agit d’un travail satisfaisant, et dans lequel l’effort, demandé par la production des biens de consommation, engage le développement des facultés humaines.

Cette traduction française d’Holloway inverse donc l’usage, en prenant « pouvoir » en un sens très large et « puissance » au sens restreint d’une domination interhumaine. La traduction française justifie ce contre-pied de l’usage en faisant appel[7] à des passages où Holloway renvoie[8], de façon assez critique d’ailleurs, à la distinction potentia / potestas pour rendre l’opposition power to / power over, rendant donc le power to, comme potentia, par puissance et le power over, comme potestas, par pouvoir. Je ne dis pas mot de la nouvelle difficulté linguistique qui nous amènerait, à la suite de Rousseau p.ex., à faire remarquer que potentia & potestas peuvent tous deux exprimer le terme français de « puissance ». Je souligne seulement ici les réserves d’Holloway, pour qui la distinction potentia / potestas n’est qu’une simple différence, alors qu’il veut souligner tout à la fois un antagonisme et une origine commune : an antagonistic metamorphosis[9] de la potentia en potestas.

La rencontre d’un antagonisme et d’une origine commune n’a rien de mystérieux, elle renvoi à la figure classique d’une évolution pervertissant l’origine, et là, nous sommes bien, avec Rousseau, dans la thématique de l’aliénation : une chose devient son contraire parce que certaines circonstances l’ont privée d’un aspect essentiel, ainsi la puissance, le power to, devenu pouvoir, power over, lorsque p.ex. ce qu’Holloway appelle le « flux social du faire », sorte d’interactivité productrice constituant la vie commune des individus libres, se trouve brisé par la division du travail, puis par l’exploitation capitaliste. Le « pouvoir sur » s’oppose d’autant à la puissance ou « capacité »[10] originaire qu’il en est issu, qu’il peut se prévaloir d’en être issu, et prétendre donc se substituer maintenant entièrement à elle.

Toutefois, pour rentrer dans le propre de l’argumentation d’Holloway, l’origine n’a pas disparu. L’ambiguïté terminologique du pouvoir et de la puissance est donc l’indice d’une problématique, puisque coexistent à la fois une chose et son contraire, moins comme l’existence simultanée de deux époques différentes[11], que comme possible et réel : l’un – le possible, ou le pouvoir de – a été le fondement de l’autre – le réel ou le pouvoir sur –, mais s’oppose maintenant à lui, jusqu’à renvoyer à l’autre, le réel, la négation que le réel lui-même a infligée au possible. Il en va ici comme du droit naturel chez Spinoza : le fond premier de puissance universelle ou « pouvoir faire » humain demeure. Et tout comme le droit naturel spinoziste permet d’expliquer les institutions politiques, mais aussi de justifier le renversement de l’ordre établi, la sourde persistance d’un fond premier de puissance universelle, ou « pouvoir faire », permet, à son tour, d’expliquer et de justifier diverses formes de révolte. Tout cela n’est pas très nouveau, on pourrait lire en ce sens l’évolution des théories du contrat social et de la représentation politique, selon que les théoriciens admettent ou non la coexistence du pouvoir constituant, le représenté (côté « pouvoir faire » ou « pouvoir de »), et du pouvoir constitué, le représentant (côté « pouvoir sur »). Ceux qui refusent cette coexistence, Kant ou Hobbes, la refusent précisément pour éviter le renversement de l’ordre établi.

Anti pouvoir et anti aliénation

On ne trouve donc jusqu’à présent rien encore de vraiment nouveau. Le propre d’Holloway, et on le devine dans sa référence au pouvoir constituant de Negri, est que, s’il vise bien le renversement de l’ordre établi, le renversement n’est pas tel, ou ne devrait pas être tel, qu’il conduise à l’institution d’un nouveau pouvoir, quand bien même serait-il opposé au premier. Ici prend place la notion d’anti pouvoir : « La lutte visant à libérer le « pouvoir faire » ne consiste pas à construire un contre pouvoir mais plutôt un anti pouvoir, quelque chose de radicalement différent du « pouvoir sur » »[12]. En un sens, on est encore ici proche d’une thématique classique, celle de l’aliénation et de ses trois étapes, (essence originelle, perversion, dépassement de la perversion). Nous en sommes proches par la volonté de ne pas instituer un nouveau pouvoir et de préserver ainsi une troisième étape, époque ou moment, en ne voulant pas faire de la révolte, troisième étape, une autre 2e étape. Il s’agit bien plutôt d’un retour à la 1èreétape, ou plus précisément il s’agit de manifester le fait que cette première étape ait sourdement perduré.

Toutefois et pour la même raison, on peut aussi bien dire que nous ne sommes plus dans la thématique de l’aliénation, parce que la spécificité de la troisième étape disparaît : il n’y a pas à proprement parler dépassement de l’aliénation, dépassement qui suppose de passer à un moment au moins, au niveau du pouvoir constitué, pour substituer un pouvoir à un autre, et dépassement qui requiert qu’ensuite le nouveau pouvoir ne reprenne pas à son compte les pratiques aliénantes du pouvoir constitué comme tel, mais que ce nouveau pouvoir manifeste sa nature progressiste ou révolutionnaire, par le fait de dépérir… Vous vous rendez compte que nous rentrons ici dans des thématiques qui opposent Holloway et les marxistes, thématiques qui ont parsemé l’histoire du marxisme et que je ne veux pas reprendre ici. Mon intention est de me servir de la réactualisation, par Holloway, de ces questions, et de cette tension entre une puissance originaire, « pouvoir faire », et des circonstances sociales qui le pervertisse (l’exploitation capitaliste), pour interroger le moment même de la révolte, dans sa possibilité et ses attentes. Cela devrait fournir en retour des éléments, soit aux partisans de l’institution d’un nouveau pouvoir, soit aux partisans de la simple manifestation du « pouvoir faire »… si tant est que la manifestation d’un pouvoir faire originel soit possible sans suppression du pouvoir institué, et que cette suppression n’appelle pas elle-même un contre pouvoir.

La subjectivité contre le sujet.

Sans rentrer donc dans ces dernières questions rebattues, et sans préjuger de mes réponses, je voudrais me tenir dans un moment qui est seulement celui de la révolte, et qui manifeste ce que Holloway appelle l’anti pouvoir. Ce moment, pure puissance d’opposition, de renversement, repose sur ce qu’Holloway appelle la « subjectivité ». Cette appellation est tout d’abord étonnante puisque Holloway a été connu et cité pour ses prises de position contre toute revendication d’identité[13]. Pour Holloway ce que nous avons appelé l’aliénation, qu’il présente dès le début de son ouvrage comme la « rupture du flux social du faire », sépare les individus entre eux en fixant leur identité, en même temps qu’elle les prive de leurs produits et des moyens de travail. L’exploitation capitaliste est à concevoir en continuité avec un processus de division du travail que la concentration de la propriété et le machinisme de la grande industrie accroît. Il s’agit donc de séparer les individus, de les déplacer et de les maintenir à leur place. Dans ces opérations on reconnaît ce que la modernité, au premier chef Althusser[14], et ensuite Foucault, a attribué à la catégorie de sujet, fonction idéologique pour Althusser, opération inscrite dans les dispositifs de la domination disciplinaire pour Foucault. Lorsqu’une pratique de domination sépare les individus, elle engendre le sujet : la séparation ne pourrait se maintenir si les individus ne se pensaient pas eux-mêmes comme sujets, c’est-à-dire libres, responsables et autonomes. Comme l’exprimait Lacan[15] en divisant le signifiant « separere » en « se-parere », la séparation est un auto-engendrement ou plutôt un engendrement de l’auto, du Soi.

C’est contre cette fixation de l’identité, dans et par un sujet, qu’Holloway défend ou postule l’action de la « subjectivité ». Est-ce une nouvelle maladresse linguistique, cette fois-ci d’Holloway lui-même ? Ou cette appellation de subjectivité ne nous engage-t-elle pas, tout comme le rapport entre puissance et pouvoir, à aller chercher, en deçà du sujet, quelque chose qui n’est pas lui, mais dont il se pense issu, et vers quoi il tendrait à revenir, contre ce qui lui apparaît déformation ou aliénation, dans une existence foncièrement insatisfaisante ? Si l’on reprend la thématique de l’aliénation ci-dessus, la subjectivité d’Holloway est donc une subjectivité sans sujet : tout au plus le mouvement qui fait que le sujet a pu se constituer, en s’attachant telle ou telle identité, mais pas cette identité elle-même. Et en comprenant bien la fin de la phrase précédente, il faut souligner l’opposition entre mouvement de la subjectivité et identité du sujet.

La question est de savoir si l’on désigne par « subjectivité » quelque chose, sans jouer sur les mots et insister sur la déterminité du quelque chose : désigne-t-on par « subjectivité » un mode d’être – détachement et non attachement par exemple – du moins un espoir qui ne peut être tel qu’en envisageant un mode d’être ? La question est alors de savoir si le monde d’être qu’envisage cet espoir est possible, s’il peut être autre chose que l’expression consolante d’un autre monde. Holloway fait de cet espoir le moteur de la révolte. Pour que cet espoir soit le moteur de la révolte, il faut qu’il repose immédiatement sur une satisfaction que l’on doit pouvoir se représenter comme vécue, vivante et vivable, afin de pouvoir exiger sa réalisation et d’engager, en son nom, la transformation sociale.

Le lexique décrivant cette thématique de la subjectivité et du mouvement est ambigu : l’exigence d’un autre monde se déplaçant elle-même entre le moral, le révolutionnaire et le religieux. Ces ambiguïtés conduisent parfois Holloway à spécifier p.ex. sa distinction d’avec Lukacs[16], qu’il suit généralement par ailleurs, lorsque Holloway défend l’idée du devoir, non comme norme abstraite, mais comme exigence vécue par les individus ressentant l’antagonisme de la puissance et du pouvoir, ou de la subjectivité et du sujet, parce que ces individus se savent être à la fois dans deux états opposés : « la lutte vient du fait que nous sommes la classe travailleuse, mais parce que nous sommes-et-ne-sommes-pas la classe travailleuse, parce que nous existons contre-et-au-delà du fait d’être la classe travailleuse »[17].

Quelle réalité accorder à cette double existence, condition, pour Holloway, sinon de la transformation sociale, du moins des luttes visant cette transformation ? Une subjectivité sans sujet est-elle pensable, autrement et ailleurs que dans la posture par laquelle l’individu se pose comme sujet autonome et responsable ? Cet espoir, condition de la vie heureuse, n’est-il qu’une illusion idéologique, ou un fantasme, c’est-à-dire, au sens technique de la psychanalyse lacanienne, un substitut de satisfaction engendré dans et par l’insatisfaction ? Et si cet espoir est l’indice d’un dépassement possible de l’insatisfaction et de l’aliénation, ce dépassement peut-il prendre forme sans retomber dans une nouvelle aliénation qui assigne à chacun une place ? Je voudrais donc maintenant confronter la réactualisation, par Holloway, de ces thématiques, avec deux figures de la déconstruction moderne du sujet – Lacan et Althusser –, de façon à interroger tout à la fois cette déconstruction et ces figures, dans le rapport qu’elles peuvent entretenir avec l’espoir de transformation sociale et les luttes visant cette transformation.

II. L’inscription du sujet (et son impossible dépassement) chez Lacan.

L’existence du sujet et le signifiant.

Lacan figure la déconstruction du sujet dans la modernité, à condition de comprendre la déconstruction comme celle d’un sujet libre, autonome et responsable, qui se pense comme cause libre de ses actes. Cette déconstruction s’opère par « l’inscription » du sujet dans un réseau de signifiants, à partir d’une insatisfaction ou frustration première[18], formulée dans une demande, et qui situe le sujet par et dans cette demande adressée à ce que Lacan appelle « l’Autre ». Cette « inscription » du sujet signifie donc tout d’abord circonscription d’un lieu délimitant son existence, dans et par ce réseau de signifiant, dans et par le langage donc, en exprimant une demande. Il y a tout à la fois position d’une existence et délimitation de cette existence, c’est-à-dire refus (théorique) d’aller chercher le sujet ailleurs que dans ce réseau de signifiant. La déconstruction est donc là, dans ce qui n’est pas la négation de l’existence du sujet, mais sa délimitation, et qui, par sa délimitation, enveloppe la négation du sujet absolu de la philosophie classique et de l’idéalisme moderne : pas de réalité du sujet en dehors du langage[19].

On comprend mieux la précision de cette position en commentant la remarque de Lacan, parfois citée, à la fin d’une conférence de Foucault en 69, « Qu’est-ce qu’un auteur ? »[20]. Lacan, et Foucault aussi d’ailleurs[21], appliquent au sujet ce qui vient d’être dit de l’auteur, c’est-à-dire non qu’il n’existe pas, mais qu’il existe précisément comme cela. La proximité est grande entre la « fonction auteur » que présente Foucault et les thématiques lacaniennes : la « fonction auteur » désigne la manière dont le texte pointe vers un extérieur qui lui est antérieur. Mais, écrit Foucault, l’écriture contemporaine, laissant tomber la fonction d’expressivité, et ne se référant qu’à elle-même, le nom d’auteur parcours l’œuvre sur les bords, en surface. L’œuvre elle-même n’est plus que son signifiant. L’auteur, comme le sujet, n’existe pas « absolument », il existe dans une interdépendance. Cela ne veut donc pas dire que le sujet « n’existe absolument pas », comme voudrait le faire dire L. Goldmann à M. Foucault, mais il demeure que si son existence dans le réseau des signifiants, et sa dépendance envers l’autre, dénie l’essence absolue du sujet, il faut bien penser alors que le sujet absolu, lui, n’existe pas. Ce que concède Foucault. La remarque de Lacan reprend ces points : « structuralisme ou pas » il n’est pas question « de la négation du sujet. Il s’agit de la dépendance du sujet, ce qui est extrêmement différent ; et tout particulièrement, au niveau du retour à Freud, de la dépendance du sujet par rapport à quelque chose de vraiment élémentaire, et que nous avons tenté d’isoler sous le terme de « signifiant » »[22].

Le sujet absolu n’existe absolument pas, mais j’ajouterai qu’il demeure posé, dans et par la demande, par le sujet de la demande[23], comme ce à quoi il s’adresse. Avec l’inscription de ce sujet, reste à penser la position de cet absolu, comme existence absolue ou autosuffisance nécessairement satisfaisante, dans et par le réseau des signifiants : elle est nécessairement fausse, mais n’en est pas moins nécessairement posée, donc sur le plan de l’imaginaire ou du fantasme : c’est le rôle de l’objet « a », « ce que » l’on désire, et qui est bien, lui, « quelque chose ». L’image du sujet absolu est le corrélatif de cette inscription du sujet dans l’expression langagière d’une demande. Elle n’est donc pas, comme telle, l’indice d’une antériorité à partir de laquelle le sujet serait engendré et à laquelle il pourrait, dans un mouvement fusionnel et extatique, faire retour. Nous ne sommes plus chez Holloway : chez Lacan le sujet n’a pas ou plus de rapport à la subjectivité, on ne voit pas comment le « pouvoir sur » ou la puissance ne resterait pas « pouvoir sur » ou domination, quand bien même aurait-il une fois été « pouvoir de » ou « pouvoir faire ».

L’assujet : aliénation et dépendance.

Avant de perdre, avec Lacan, tout espoir de satisfaction réelle, il faut lever une ambiguïté qui verrait dans la transformation du rapport à autrui une réalisation de cet espoir. Malgré la référence à Kojève et au privilège de l’intersubjectivité dans l’analyse hégélienne, malgré la pratique analytique[24], l’insuffisance du sujet ne provient pas de sa dépendance envers autrui. L’Autre historique, la chose ou la mère, Das Ding, ne subsiste plus qu’au niveau de l’inconscient, représenté par une représentation[25].

Il est frappant que le stade du miroir, moment inaugural du « Je », ne se construise pas sur le mode d’un rapport à autrui comme un autre, mais comme rapport à l’altérité en général, une altérité dans laquelle on se retrouve, sans s’identifier pour se distinguer des autres, mais au contraire dans une reconnaissance de son semblable. Le stade du miroir ne met le sujet en face de lui-même que parce qu’il lui permet de se reconnaître comme faisant partie d’une espèce ou image plus générale[26]. Il ne s’agit donc pas, avec le stade du miroir, de pénétrer pédagogiquement dans la réflexivité auto suffisante d’une conscience de soi. Loin de définir le sujet à partir d’un retour de l’individu sur lui-même, satisfaisant alors l’image d’une auto suffisance réflexive, le stade du miroir nous présente plutôt la construction du soi comme liée, par mon image même, à la possibilité d’un autre, d’un autre qui n’est pas nécessairement différent de moi-même, qui n’est pas ici le grand Autre trésor des signifiants, ni l’autre moi-même de l’intersubjectivité, mais plutôt l’image commune de l’espèce qui permet à l’animal de reconnaître son semblable pour se reproduire. Ouvert sur l’autre[27], le stade du miroir exprime donc l’inverse de l’autosuffisance individuelle dans une conscience de soi.

L’insuffisance du sujet, comme inverse de l’autosuffisance de la conscience de soi, peut s’enraciner dans des considérations biologiques[28], elle n’en est pas moins immédiatement déplacée et reprise, comme telle, dès l’image spéculaire, par l’ordre symbolique[29]. La manifestation de l’insuffisance (définitionnelle) du sujet est donc à saisir dans le réseau des signifiants, et, dans ce qui institue le signifiant comme tel en un réseau : qu’il ne peut signifier qu’en se rapportant aux autres signifiants[30]. Le renvoi du signifiant vers un autre signifiant est donc ce qui exprime la demande du sujet, et en même temps le sujet comme demande : un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant[31]. Le signifiant représente alors d’autant mieux le sujet qu’il en exprime précisément l’insuffisance : un signifiant ne peut se représenter lui-même[32].

De cette définition du sujet s’ensuit sa qualification d’assujet, « assujet »[33] qui désigne le sujet comme l’absence de ce qu’il est ou devrait être. Le sujet n’est pas seulement défini par un manque, mais il est son propre manque, sa propre disparition dans le signifiant. Il faut articuler ici ce qui vient d’être dit, de l’inscription du sujet dans le réseau des signifiants, avec ce que Lacan appelle l’aliénation. L’aliénation, pas plus que la demande, n’est à comprendre comme manque originel éprouvé par la séparation d’avec l’Autre historique. Elle est à comprendre dans et par l’expression de la demande, dans le réseau des signifiants donc. L’aliénation comme devenir autre que soi, ou dépossession de soi que vit l’assujet, est à comprendre alors non pas comme dépendance ou soumission envers un autre réel, mais comme dépendance ou soumission envers ce qui constitue nécessairement l’existence du sujet comme expression de sa demande dans le réseau des signifiants[34]. L’aliénation n’est donc pas pour Lacan dépendance d’un autre mais de l’Autre, compris comme le lieu du code, trésor des signifiants[35]. L’aliénation, définie par la Spaltung, refente ou clivage du sujet, réside donc dans le fait pour le sujet de ne pouvoir qu’être dit, sans jamais coïncider avec ce qui est dit, sans jamais pouvoir se dire, au même titre que le signifiant ne peut se représenter lui-même.

L’insignifiance de la libération.

Il résulte des deux précédents développements sur Lacan – l’un posant le réseau des signifiants comme élément du sujet, l’autre définissant l’aliénation à partir du signifiant –, que l’aliénation est le mode d’être du sujet. Mode d’être qui apparaît indépassable, pour le sujet du moins. C’est la réponse ferme et définitive que Lacan adresse à des étudiants de philosophie : « En quoi peut-on bien dépasser l’aliénation de son travail ? C’est comme si vous vouliez dépasser l’aliénation du discours »[36]. La question du dépassement est liée à la possibilité d’un rapport à l’Autre, possibilité refusée, et mythique pour qui, en raison même de ce refus, a toujours déjà compris l’Autre dans son discours.

La question du dépassement de l’aliénation se déplace alors, à l’intérieur du réseau des signifiants, sur la question du rapport à l’objet « a », qui tient lieu de l’Autre. En matière de pouvoir interhumain, l’objet « a » est le regard du meneur qui hypnotise les individus, lorsqu’il occupe la place de leur idéal du moi. Lacan reprend et interprète[37] ainsi le schéma freudien de 1921[38] expliquant la soumission de la foule primaire à son chef. A l’intérieur de ce schéma, la manière de penser encore un dépassement de l’aliénation doit se comprendre comme une mise à distance de l’objet « a ». Mise à distance qui consiste à accorder le rôle d’idéal du moi non plus à un meneur « mais à une idée, une abstraction […] »[39]. Cette mise à distance peut être jugée positive, parce que Freud dépeint de façon très négative une grande proximité entre la foule et son idéal : c’est la « misère psychologique de la masse », décrite à la fin du chapitre cinq de Malaise dans la civilisation : « ce danger devient des plus menaçants quand le lien social est créé principalement par l’identification des membres d’une société les uns aux autres ». La mise à distance de l’idéal commun nous préserverait donc des dimensions les plus primitives de la dépendance collective, sans pour autant libérer le sujet de cette dépendance.

Que garder, pour la réflexion sur les luttes sociales, de ces apports de la psychanalyse ? La subjectivité sans sujet d’Holloway, reléguée de l’autre côté du signifiant, devient définitivement mythique. A moins de comprendre qu’elle ne vise elle-même qu’à représenter l’énergie de la demande par laquelle le sujet s’adresse à l’Autre. Question qu’il faut poser à la problématique d’Holloway, puisque sa subjectivité remplirait alors un contre rôle, celui d’arriver au mieux à déplacer l’objet « a » ou l’idéal commun, ciment idéologique de la foule, et à créer ainsi un contre pouvoir, destiné à devenir lui-même un nouveau « pouvoir sur ». Ce rôle n’est pas négligeable, il peut même être positivement reconnu pour ses effets pratiques, ce que le marxisme concède aux idéologies. Même l’auteur marxiste qui dénonce l’idéologie de l’humanisme théorique, Althusser, reconnaît l’efficace pratique de l’humanisme marxiste[40], efficace idéologique que nous prêtons ici à l’objet « a » devenu idéal commun. Mais au-delà des effets pratiques, la nature idéologique (ou fantasmatique, pour désigner ainsi la reconstruction de l’Autre dans le réseau des signifiants) de l’idéal pratique ne permet pas de déterminer véritablement (ou scientifiquement ») l’idéal commun. Que doit-il être en vérité ? D’un point de vue lacanien, il reste et doit rester nécessairement indéterminé : « […] la théorie révolutionnaire ferait bien de se tenir pour responsable de laisser vide la fonction de la vérité comme cause, quand c’est là pourtant la supposition première de sa propre efficacité »[41]. Comment comprendre ici la fin de cette citation ? La supposition première de l’efficacité d’une théorie révolutionnaire est-elle de remplir « la fonction de la vérité comme cause », en habitant l’objet « a » qui anime les foules ? L’avertissement de Lacan tendrait alors à limiter la tentation des théories révolutionnaires de déterminer l’idéal, voire de désigner un nouveau « meneur ». Ou bien la supposition première de l’efficacité d’une théorie révolutionnaire est-elle au contraire « de laisser vide la fonction de la vérité comme cause » ? La théorie risquerait alors d’être moins efficace, mais peut-être plus révolutionnaire, au moins théoriquement, puisqu’elle ne pourrait retomber dans les formes antérieures de domination. Nous demanderons ces réponses à Althusser, qui, tout en faisant du sujet la catégorie centrale de l’idéologie, et en affirmant ainsi la destitution du sujet classique, maintient à la fois le vide théorique des idéologies et leur efficace pratique.

III. Une subjectivité sans assujetissement ?

Il est facile de rapprocher Althusser de Lacan : les deux hommes l’ont été physiquement lorsque Althusser a invité Lacan à poursuivre son séminaire à l’École Normale Supérieure, et tous deux ont vécu des conflits, parfois définitif, avec ce qui aurait pu être leur maison mère, parti communiste pour Althusser, société de psychanalyse pour Lacan. Tous deux se retrouvent évidemment dans notre propos autour de la déconstruction du sujet[42], Althusser étant entre autres connu pour sa critique de l’humanisme marxiste, avec la thèse, publiée en 1970 mais élaborée plusieurs années auparavant, de l’interpellation (« L’idéologie interpelle les individus en sujets »[43]), thèse qui fait du sujet la catégorie centrale de toute idéologie. On pourrait suivre la trace des influences réciproques entre les deux hommes, au moins, dans l’ordre chronologique, de celle de Lacan sur Althusser : Althusser en vient certainement par le biais de sa connaissance de Lacan à la notion d’interpellation, et la considération de ce qu’il appelle l’idéologique, comme un discours contenant lui-même l’existence du sujet : « Tout discours produit un effet de subjectivité »[44].

Je rappelle que l’idéologie, comme représentation du « rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d’existence »[45] n’a pas, en tant qu’imaginaire, à fournir une représentation exacte du réel des rapports de production et de la lutte des classes, il va s’agir au contraire que l’individu se représente sa place dans un tout social. Cela n’interdit pas que la représentation idéologique puisse ne pas contredire le réel d’une société donnée. Mais contredire ou non le réel n’est pas son affaire, et elle a d’autant plus de chances de contredire ce réel (d’être fausse), qu’elle s’adresse non pas aux éléments qui composent le tout social, mais à l’individu. Et, vous le savez, « la société ne se compose pas d’individus »[46]. Ici le caractère imaginaire de l’idéologie se renforce dans la définition d’Althusser : que la représentation idéologique concerne non pas seulement les conditions d’existence, mais le rapport des individus à leurs conditions d’existence. Le caractère imaginaire de l’idéologie est lié au fait d’envelopper l’individu représentant dans sa représentation du monde. Il ne s’agit pas seulement de se représenter le monde qui m’entoure, mais ma vie (ma place) dans le monde qui m’entoure[47]. En cela s’éclaire la fonction pratique de l’idéologie qui est de participer à la reproduction des conditions de la production, en assignant à chacun sa place : « l’idéologie (comme système de représentation de masse) est indispensable à toute société pour former les hommes, les transformer et les mettre en état de répondre aux exigences de leurs conditions d’existence »[48].

La définition[49] est ici très générale. Si l’on en reste au cas le plus souvent examiné, celui de l’idéologie capitaliste, « répondre aux exigences de ces conditions d’existence » voudra dire effectuer sa tâche dans l’exploitation capitaliste. Le système produisant l’exclusion et se trouvant souvent lui-même aux limites des conditions d’existence tout court, on conçoit combien est importante la déformation imaginaire qui permet de se représenter de façon cohérente sa propre exploitation, comme participant au fonctionnement d’un tout social, lui-même cohérent, dans ces conditions. La définition générale et pratique que donne Althusser de l’idéologie est intéressante par ses effets pratiques : assigner à chaque individu sa tâche. Le principe est connu, il est présenté dans l’article de 1970 mais élaboré dès les Notes sur la théorie des discours : le processus d’interpellation[50] qui arrache l’individu au groupe social, en constituant l’individu en sujet qui « marche tout seul ». Si l’on essaie de décomposer ce processus d’institution idéologique du sujet, il faut comprendre qu’il y a, à partir d’une division du travail qui assigne toujours déjà à chacun une place, nécessité de maintenir chaque individu à la place qui lui est assigné : il faut qu’elle devienne sa place et qu’il la reconnaisse comme telle en se reconnaissant lui-même comme assumant cette tâche : que les étudiants étudient, que les enseignants enseignent et que les travailleurs travaillent[51]. La décomposition logique (et non chronologique, puisque, de fait, nous sommes toujours déjà sujets, accomplissant une tâche dans un tout social, j’y reviens de suite) du processus d’institution idéologique du sujet en ses éléments nous donne donc d’abord, avec la division du travail, le fait que certaines places déterminées sont à occuper. Il s’agit ensuite de déterminer quels sont les individus qui vont occuper ces places. La première des Trois notes sur la théorie des discours distingue le premier moment, le fait que certaines places déterminées sont à occuper, en posant non pas le sujet mais une « fonction Träger », fonction support désignant l’occupation de telle ou telle place dans la division technique et sociale du travail [52]. C’est « ensuite » (deuxième moment logique) à l’idéologie de désigner le sujet qui doit occuper cette fonction. En ce sens l’idéologie permet à la « fonction Träger » de fonctionner en la transformant en fonction sujet, c’est-à-dire en désignant l’individu qui assume la « fonction Träger »[53].

Si l’on considère maintenant le processus ou la situation réelle, et non plus seulement l’analyse logique de cette institution idéologique du sujet, il faut dire que tout comme nous faisons toujours déjà partie d’un groupe social pratiquant la division du travail et assignant à chacun une tâche, nous sommes toujours déjà sujets[54]. Ici prend son importance le caractère général de la définition de l’idéologie par ses effets[55] : toute société a besoin d’idéologie, « toute société », y compris la nôtre, y compris la société que les révolutionnaires imaginent, y compris celle qui était le communisme historique. Puisque nous sommes toujours déjà sujets, et que toute société a besoin d’idéologie, il semble que l’on ne puisse jamais, avec Althusser, libérer les individus de l’illusion idéologique du sujet, pas plus qu’il n’était possible, avec Lacan, de libérer le sujet lui-même de l’aliénation.

Nous avons toutefois changé de contexte théorique, et il faut maintenant penser la transformation sociale, l’avènement d’une société meilleure par la transformation de la société antérieure et la dénonciation des ressorts de sa domination. Il nous faut donc penser le dépassement de l’assujettissement du sujet à l’intérieur même de la structure qui l’engendre. Mais le dépassement d’une situation qui a besoin d’illusion modifie nécessairement les illusions que l’on peut se faire sur sa situation nouvelle[56]. A défaut de sortir de l’idéologie, il faut au moins rechercher une idéologie moins illusoire ou moins aliénante, tout comme il nous fallait tout à l’heure, à partir de l’analyse psychanalytique de la domination mais toujours à l’intérieur de la subjectivité, élever l’idéal commun. Cependant cette fois l’idéologie moins aliénante devrait ne plus avoir le caractère illusoire ni les effets trompeurs des idéologies antérieures : nous ne pouvons nous contenter de remplacer le « meneur » par un idéal religieux ou républicain, il faudrait que chacun puisse effectivement y trouver son compte, et que chacun puisse dans un tel monde être vraiment heureux. En somme cet idéal, demeurant imaginaire, devrait être à la limite du vrai, au plus près du vrai et du bien, si tant est qu’ils se jouxtent. Deux voies s’offrent alors aux mouvements progressistes pour figurer cette heureux évènement : ou bien la voie d’une idéologie qui serait la moins illusoire possible, tout en gardant des effets pratiques, ou bien la voie d’une idéologie qui dessinerait un idéal suffisamment indéterminé pour n’assigner aucun individu à sa tâche, qui aurait des effets pratiques donc, mais sans déterminer les modalités d’une existence « véritable ».

La première voie est connue, c’est l’humanisme socialiste, idéologie à l’efficacité et à la vérité, de laquelle il s’agissait de croire. Althusser s’est débattu avec cette thématique, ne pouvant condamner tout humanisme marxiste, malgré la démarcation qu’il souligne entre science et idéologie. A partir de la définition générale de l’idéologie par ses effets, confortant le fonctionnement des individus dans le tout social, la reconnaissance de la fonction pratique de l’humanisme socialiste ne pose pas problème. En société communiste, la tâche de l’idéologie devient, après avoir suscité l’engagement, plutôt une tâche éducative[57]. En ce sens l’idéologie relève encore de l’imaginaire, mais elle n’est plus censée être illusoire ni trompeuse, et Althusser lui-même va jusqu’à employer l’expression d’idéologie « fondée sur une science »[58]. Toutefois la difficulté est alors très grande pour limiter cette idéologie au champ pratique[59], ce qui reste pourtant exigé par Althusser lui-même puisqu’il établit l’anti-humanisme théorique.

Reste la deuxième voie, dépassement de la subjectivité plus proche d’une libération « de » l’idéologie, que d’une libération « dans » l’idéologie ou idéologie de la libération. J’ai exploré cette autre voie dans une conférence antérieure sur l’individualité chez Marx et Althusser[60], en précisant le statut de ce que Marx appelle l’individu « totalement développé », fin visée par la transformation sociale, et que l’on retrouve de l’Idéologie allemande[61] au Capital. Il me semble que l’individu complètement développé du Capital n’apparaît plus d’emblée comme homme total, mais plutôt comme la face négative de l’individu morcelé par le travail industriel, comme l’envers du travailleur mutilé : « la grande industrie oblige la société sous peine de mort à remplacer l’individu morcelé, porte douleur d’une fonction productive de détail, par l’individu intégral [das total entwickelte Individuum] qui sache tenir tête aux exigences les plus diversifiées du travail et ne donne, dans des fonctions alternées, qu’un libre essor à la diversité de ses capacités naturelles ou acquises »[62]. L’idéal de l’individu intégral est donc à distinguer d’une idée de l’homme ou nature humaine, véhiculée par une idéologie humaniste déterminant une identité idéale : l’individu intégral est indéterminé.

Cette voie d’un idéal indéterminé, pratique parce que réactif à une situation d’exploitation, mais n’engendrant aucune aliénation nouvelle grâce à son indétermination, paraît une réponse, mieux adaptée que l’humanisme socialiste, à l’exigence d’une transformation, elle-même inévitablement portée par la constitution d’une idéologie nouvelle. Le sujet se libère de son identité par le mécanisme même qui lui donne naissance, et retrouve sa puissance transformatrice, voire cette puissance sous sa forme sociale, sans réduire celle-ci à la somme des forces individuelles, subordonnée au meneur, ou au profit du propriétaire.

Nous avons là ce qui paraissait plus qu’improbable : le point de rencontre entre nos trois auteurs : un humanisme pratique qui ne peut, par son caractère indéterminé, apparaître comme une théorie trompeuse. Le même caractère indéterminé permet à la théorie révolutionnaire de respecter l’avertissement lacanien, « de laisser vide la fonction de la vérité comme cause », sans assigner donc le sujet de l’exploitation en lui donnant pour absolue, immuable et indépassable, sa situation d’exploitation, tout en s’adressant encore à un sujet, celui là même qui devient l’agent de sa propre transformation. Et dans ce déplacement même le sujet découvre sa capacité d’instituer une situation nouvelle, en refusant l’exploitation ou le substitut insatisfaisant de la satisfaction, pour lui substituer à son tour un autre substitut – la fin de la lutte – mais qu’il ne prend plus pour immuable, puisqu’il s’est en même temps découvert agent de sa transformation, en retrouvant la puissance – capacité ou pouvoir faire – d’institution.



[1]. On peut ici penser à la « surface d’application » de Foucault, terme par lequel il désigne l’individu assujetti dans et par un appareil disciplinaire. Cf. M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, rééd. Coll. TEL 1993, 2003, p. 236.

[2]. Car « la jouissance sexuelle n’est pas dans le système du sujet. Il n’y a pas de sujet de la jouissance sexuelle », Séminaire XVI, 20e séance, p. 320-321.

[3]. Holloway J., Change the world without taking the power, London, Pluto Press, 2002, trad. fr. S. Bosserelle, Changer le monde sans prendre le pouvoir, Paris, Syllepses, 2007.

[4]. Holloway J., ibid., ch. 3, II, p. 24 eng., p. 47 trad. fr.

[5]. J’écris ici « mythique » sans vouloir me référer à une origine idéale, Marx distingue d’ailleurs dans son texte le travail proprement dit, celui qu’il considère « en premier lieu » (zunächst), d’une forme « primitive » (cf. la trad. de J.P. Lefebvre) : « Wir haben es hier nicht mit den ersten tierartig instinktmaβigen Formen der Arbeit zu tun ». Le travail examiné de prime abord n’est donc pas un travail primitif, mais la catégorie abstraite du travail, dont l’Introduction de 1857 présentait déjà les conditions de validité. Ce travail proprement dit pourrait certes être illustré par le petit artisan ou le paysan propriétaire, il n’est pourtant pas défini par sa présence dans une époque antérieure, mais par son abstraction de conditions sociales et historiques. Mais c’est précisément cela qui peut le rendre mythique au sens d’une explication satisfaisante d’un phénomène, voire de la présentation d’un phénomène satisfaisant : dans le procès de travail proprement dit, abstraction faite des conditions sociales et historiques déterminées (p.ex. comme celle que nous connaissons, l’exploitation capitaliste), le travailleur n’est pas dépossédé du moyen de travail ni du produit, et il en tire bénéfice, non seulement en consommant son produit mais en développant l’ensemble de ses facultés. Voilà en quoi cet exemple peut être mythique, voilà pourquoi il est choisi par Holloway pour illustrer la forme positive du pouvoir faire, et voilà aussi la raison de cette longue note : le travail ainsi présenté comme modèle explicatif contient l’ensemble des éléments que l’exploitation capitaliste déplace ou supprime, la consommation des produits ou le développement du travailleur. Un tel schéma d’explication contient en lui la nécessité du rapport entre ses éléments, et donc aussi la possibilité de les conserver dans leurs déplacements historiques (capitalistes ou non) sans les voir purement et simplement disparaître (ainsi pour l’ouvrier le produit devient le salaire, et les facultés mises en jeu sont maintenant celles du « travailleur collectif »). Le schéma de présentation du travail « proprement dit » permet d’expliquer que l’on retrouve, même sous des formes historiques très insatisfaisantes, la production des moyens de subsistance. Le texte de Marx présentant le travail proprement dit remplit alors pour l’économie politique une fonction analogue au « schéma mythique de la demande suivie de satisfaction », graphe du désir en forme de point de capiton que Lacan élabore en 1957, cf. Séminaire V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, « Le Veau d’or » pp. 94-95.

[6]. Marx Capital I, Section 3 « Production de la plus-value absolue », Ch V. éd. allde, Ch.VII trad. Joseph Roy, « Procès de travail et procès de valorisation », 2nd § (le décalage des chapitres étant dû au détriplement de la deuxième section, le chapitre IV, dans la traduction de J. Roy).

[7]. Holloway J., ibid., trad. fr. p. 52-53.

[8]. Holloway J., ibid., ch. 3, au-delà du pouvoir, pt. IV.

[9]. Une « métamorphose antagonique », Holloway J., ibid., ch. 3, au-delà du pouvoir, pt. IV, p. 36 eng., p. 64 trad. fr.

[10]. Ce terme de « capacité » pourrait être une bonne traduction du power to, bien distingué alors d’un pouvoir interhumain enveloppant force et puissance aussi bien physique que morale : on se rapprocherait alors de l’allemand et de la distinction plus claire entre Vermogen et Macht.

[11]. Ce qui ne serait pas d’ailleurs impensable, pour peu qu’il ne s’agisse pas des mêmes lieux, p.ex. le petit artisan et la grande industrie. Mais il s’agit ici de deux choses contradictoires en un même lieu, p.ex. la petite propriété foncière et la concentration du capital, dont l’existence ne peut être juxtaposée sans engendrer une tension, lutte ou antagonisme. Ainsi Holloway fait-il appel dans son dernier chapitre aux enclosures (Holloway J., ibid., p. 288 trad. fr.) : il ne s’agit pas de choisir entre la grande industrie et la ruralité : « les individus doivent être privés de leur liberté de faire ce qu’ils veulent ». C’est pour exprimer cette tension entre deux mondes ou deux modes de vie qui se rencontrent contradictoirement en un même être qu’Holloway défend l’idée du devoir comme exigence de transformation. Holloway développe et défend la thématique du devoir, parce qu’il ne le considère pas comme séparé de l’être, et seulement lorsqu’il ne le considère pas comme séparé de l’être. Alors le devoir est ce dont on éprouve essentiellement le manque, ici et maintenant. Si le devoir devait être séparé de l’être, comme devoir être abstrait, alors il renforcerait le statu quo, l’indépendance de ce qui est (Holloway J., ibid., ch. V., p.ex. p. 106 de la trad. fr.). J’ai voulu dans le même sens expliquer le genèse du devoir kantien, en comprenant que l’être d’une personne morale appartenait à un monde rationnel, et que le sujet moral existait pour lui-même dans deux mondes, le donné et le voulu (cf. L. Vincenti, E. Kant, philosophie pratique, « identité et obéissance »).

[12]. Holloway J., ibid., ch. 3, au-delà du pouvoir, pt. IV.

[13]. C’est l’appel des non-identiques : « Nous, les non-identiques, combattons cette identification, le combat contre le capital est un combat contre l’identification, et non un combat pour une identité alternative » J. Holloway, Change the world without taking the power, Londres, Pluto Press, 2002, p. 100, trad. fr. 148-149, v. également tout le chapitre cinq.

[14]. Sans qu’Holloway pratique vraiment ce dernier, probablement à cause du vocabulaire de l’aliénation, employé par Holloway.

[15]. Lacan, Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil 1973, rééd. coll. points 1990, 16e séance, p. 239.

[16]. Holloway, ibid., Ch. 4, « Fétichisme, le dilemme tragique », pt. VII, p. 106 trad. fr., p. 67 eng.

[17]. Holloway, ibid., Ch. 8, « Le sujet critique révolutionnaire », pt. I, p. 204 trad. fr, p. 144 eng.

[18]. Cf. sur cette « frustration inhérente au discours du sujet », le « Discours de Rome », Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Rome, 1953 « 1. Parole vide et parole pleine dans la réalisation psychanalytique du sujet », in Écrits 1 Paris, Seuil, 1966, rééd. coll. Points 1970, p. 125.

[19]. Cf. encore Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Rome, 1953, pt. 3, in Écrits 1 Paris, Seuil, 1966, rééd. coll. Points 1970, p. 191, à propos de « cette illusion qui nous pousse à chercher la réalité du sujet au-delà du mur du langage ».

[20]. Qu’est-ce qu’un auteur ? Conférence prononcée à la Société française de philosophie, fév. 69, 2e version Université de Buffalo 1970, Dits et Écrits T 1 de l’édition en deux tomes, Gallimard 2001, pp. 817-849.

[21]. Michel Foucault précisant qu’il s’agit de retourner le problème traditionnel : ne plus se demander comment la liberté d’un sujet s’insère dans l’épaisseur des choses, mais « comment […] quelque chose comme un sujet peut-il appraître dans l’ordre des discours ? […] ôter au sujet  (ou à son substitut) son rôle de fondement originaire, et [de] l’analyser comme une fonction variable et complexe du discours » Dits et Écrits T 1 /2, p. 838.

[22]. Ibid., p. 848.

[23]. Voire, si je me laisse aller à consolider les correspondances avec l’idéalisme allemand, notamment fichtéen : le sujet de la demande n’est tel qu’en posant dans et par sa demande un absolu dont il dépend. Fichte, Althusser et Lacan s’accorderaient sur ce point, je pense à Lacan commentant Descartes, in Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 3e séance.

[24]. La situation d’analyse faisant revivre au sujet sa frustration essentielle : que le discours ou l’œuvre visant à reconstruire son être, n’ait jamais été que son œuvre dans l’imaginaire : « dans ce travail qu’il fait de la [son œuvre] reconstruire pour un autre, il retrouve l’aliénation fondamentale qui lui a fait construire comme une autre, et qui l’a toujours destinée à lui être dérobée par un autre »,  Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Rome, 1953 in Écrits 1 Paris, Seuil, 1966, rééd. coll. Points 1970, p. 125.

[25]. Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 déc. 59, Paris, Seuil, 1986, p. 87.

[26]. « Gestalt dont la prégnance doit être considérée comme liée à l’espèce », « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », Communication du 17 juillet 1949, in Écrits 1 Paris, Seuil, 1966, rééd. coll. Points 1970, p. 91.

[27]. Ibid., p. 93 « La fonction du stade du miroir s’avère pour nous dès lors comme un cas particulier de la fonction de l’imago qui est d’établir une relation de l’organisme à sa réalité – ou, comme on dit, de l’Innenwelt à l’Umwelt ». Même si l’attachement à l’image spécifie l’humain, le rapport à l’Umwelt n’est même pas d’emblée spécifiquement humain, et peut se comprendre à la manière de « l’Innenbild qui permet à l’animal de rechercher son partenaire spécifique », cf. Séminaire L.I, Les écrits techniques de Freud, 1953-54, texte J.A. Miller, Paris, Seuil, 1975, pp. 230-231.

[28]. C’est le sens des remarques précédentes rapportant la fascination de l’image spéculaire à la recherche du partenaire permettant la reproduction de l’espèce. Il y aurait là, dans ce qui relève de la sexualité, une articulation possible entre le besoin et le désir, entre le réel et le signifiant. Cf. Séminaire XI 16e séance, Paris, Seuil 1973, rééd. coll. points 1990 p. 229 : « la sexualité s’instaure dans le champ du sujet par une voie qui est celle du manque. Deux manques ici se recouvrent. L’un ressortit au défaut central autour de quoi tourne la dialectique de l’avènement du sujet à son propre être dans la relation à l’Autre – par le fait que le sujet dépend du signifiant et que le signifiant est d’abord au champ de l’Autre. Ce manque vient à reprendre l’autre manque qui est le manque réel, antérieur, à situer à l’événement du vivant, c’est-à-dire à la reproduction sexuée. […] Ce manque est réel parce qu’il se rapporte à quelque chose de réel, qui est ceci que le vivant, d’être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle ».

[29]. Dès l’image spéculaire : avant donc que l’enfant accède au stade phallique. Cette présence de l’ordre symbolique a quelque chose à faire avec l’affirmation d’Althusser selon laquelle nous sommes toujours déjà sujets. Althusser souligne d’ailleurs cette antériorité du symbolique comme principal apport de Lacan : « le moment de l’imaginaire lui-même, qu’on vient de présenter […] comme précédant le symbolique, comme distinct de lui […] est marqué et structuré en sa dialectique par la dialectique même de l’Ordre symbolique, cad de l’Ordre humain, de la norme humaine […] sous la forme même de l’ordre du signifiant, c’est-à-dire sous la forme d’un ordre formellement identique à l’ordre du langage », L. Althusser, Freud et Lacan, in Positions, Paris, éditions sociales, 1976, p. 31.

[30]. Apport saussurien élémentaire et principiel en ce qu’il définit la langue comme structure : le sens ne naît pas de la relation du mot à la chose mais de la structure de la langue à la structure conceptuelle de la pensée, et donc, dans la langue elle-même, de ce que les signifiants forment un système.

[31]. Séminaire XVI, introduction, p. 18 : « Le signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. C’est une définition ». Autrement dit : « Tout nœud où se concentrent des signes, en tant qu’ils représentent quelque chose, peut être pris pour un quelqu’un », Séminaire XI, 16e séance.

[32]. Ibid. p. 20.

[33]. Cf. Séminaire V, 10e séance, et Séminaire XVI, 5e séance. La 10e séance du Séminaire V date de janvier 58, et les premiers textes d’Althusser sur l’assujetissement de 1966.

[34]. Cf. Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien : le sujet freudien n’est pas autre chose que sa propre dissimulation (dans et par son discours), Écrits 2, Paris, Seuil, 1971, pp. 159/160.

[35]. Cf. Écrits 2 « Position de l’inconscient » 1960 / 64 p. 206-207.

[36]. Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 207.

[37]. Séminaire XI, Conclusion.

[38]. Psychologie des foules et analyse du Moi, chapitre VIII, fin.

[39]. Psychologie des foules et analyse du Moi, chapitre VI, début : « Les foules avec meneur [Führer] ne seraient-elles pas les plus primitives […] le meneur ne pourrait-il pas, dans les autres, avoir pour substitut une idée, une abstraction, ce vers quoi les foules religieuses, avec leur chef suprême à montrer, font bel et bien la transition ; une tendance commune, un désir partagé par le grand nombre, ne fourniraient-ils pas ce même substitut ? », trad. fr. in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 2001, p. 181-182.

[40]. Par exemple, à propos des idéologies humanistes précisément, et sans même parler du statut pratique accordé à toute idéologie : Soutenance d’Amiens, in Positions, Paris, éditions sociales, 1976, p. 179.

[41]. Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 208. L’idéal commun déterminé en vérité serait une rencontre entre le vrai et le bien.

[42]. Déconstruction du sujet qui est, comme précisé ci-dessus à propos de Lacan, négation du sujet classique, d’un sujet conçu Positions p. 72 : «  Origine, Essence, Cause, responsable en son intériorité de toutes les déterminations de l’Objet extérieur », Positions p. 72. Également Ibid. p. 73, à propos d’un Sujet de l’histoire : « le Sujet, cet « être » ou « essence » posé comme identifiable, c’est-à-dire existant sous la forme de l’unité d’une intériorité et (théoriquement et pratiquement) responsable (l’identité, l’intériorité et la responsabilité sont constitutifs, entre autres, de tout sujet), donc comptable, donc capable de rendre compte de l’ensemble des « phénomènes » de l’histoire ».

[43]. Thèse du fameux article de La pensée, « Idéologie et appareils idéologiques d’État (note pour une recherche) », 1970, réédité in Positions, Paris, éditions sociales, 1976. Cet article est indissociable des manuscrits préparatoires publiés in Sur la reproduction, Paris, P.U.F., 1995 (coll. Actuel Marx Confrontation). Il faut également prendre en compte la première des « Trois notes sur la théorie des discours » (1996), in L. Althusser Écrits sur la psychanalyse. Freud et Lacan. Textes réunis et présentés par O. Corpet et F. Matheron. Paris, Stock / IMEC, 1993, réédition en poche, 1996.

[44]. 1ère des Trois notes sur la théorie des discours p. 131.

[45]. « Idéologie et appareils idéologiques d’État », in Positions, p. 114.

[46]. « La société ne se compose pas d’individus. Elle exprime la somme des rapports et des conditions dans lesquelles se trouvent ces individus les uns vis à vis des autres », Grundrisse 2, Chapitre du Capital, Première section, Le procès de production du Capital, trad. fr. R. Dangeville, Paris, U.G.E., 1968, p. 38 (coll. 10/18). Althusser reprend cette formule à plusieurs reprises, notamment : Soutenance d’Amiens (in Positions, p. 179), Sur la reproduction, p. 259, et Réponse à J. Lewis, Paris, Maspero, 1973 p. 33.

[47]. Cf. Marxisme et humanisme, in L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1968, p. 240.

[48]. Ibid., p. 242.

[49]. Car ceci est à mon sens une définition.

[50]. Processus dont je ne parlerai pas ici pour lui-même, je me permets de renvoyer pour cela à une conférence antérieure : « Faut-il jeter l’individu avec le sujet ? (L’individualité chez Althusser)», 2007, en ligne sur le site du séminaire « Marx au XXIe siècle » url : http://semimarx.free.fr/article.php3?id_article=85. On peut accoler avec intérêt les deux textes dont il est ici question, la 1ère des Trois notes sur la théorie des discours, et l’article de 1970, « Idéologie et appareils idéologiques d’État ». Un décalage apparaît avec la notion du « doublement spéculaire » qui ne concerne pas exactement les mêmes éléments. En 1966 le doublement spéculaire désigne le renvoi de l’individu au sujet d’une part puis, au sein du système de la représentation idéologique, le renvoi de chaque sujet au « Sujet » absolu et central d’autre part. En 1970 le doublement spéculaire concerne le rapport de chaque sujet au « Sujet », aperçu de chacun des deux côtés comme spéculaire : dans l’idéologie religieuse, le Sujet s’incarne en un sujet pour revenir vers lui-même, et d’autre part chacun des sujets s’est reconnu comme tel en se retournant vers celui qui l’a appelé et qui, en tant que Sujet absolu et central, institue tous les autres à son image. Mais dans ce dernier mouvement on peut inclure le renvoi spéculaire de l’individu au sujet de 1966.

[51]. Cf. le discours de De Gaulle du 30 mai 1968 : « Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu'on entende bâillonner le peuple français tout entier, en l'empêchant de s'exprimer en même temps qu'on l'empêche de vivre, par les mêmes moyens qu'on empêche les étudiants d'étudier, les enseignants d'enseigner, les travailleurs de travailler ».

[52]. Écrits sur la psychanalyse p. 134.

[53]. Ibid p. 135.

[54]. Positions p. 125.

[55]. Cf. ci-dessus : « l’idéologie (comme système de représentation de masse) est indispensable à toute société pour former les hommes, les transformer et les mettre en état de répondre aux exigences de leurs conditions d’existence » Marxisme et humanisme, in L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1968, p. 242.

[56]. Cf. K. Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel <1843-44>, trad. fr. A. Baraquin, Paris, éd. Sociales, 1975, p. 198 : « Exiger qu’il [le peuple] renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions ».

[57]. Tâche consistant à faire en sorte que chacun puisse se représenter son rapport à ses conditions d’existence au profit de tous les hommes :cf. Marxisme et humanisme, in L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1968, p. 242/243. On n’est pas loin de la tâche reconnue aux syndicats en société communiste, cf. Sur la reproduction, p. 135-136.

[58]. Lire le Capital, T. I, Paris, Maspero, 1968, p. 166. Cf. aussi la « Note sur les AIE », in Sur la reproduction, Paris, P.U.F., 1995, p. 264.

[59]. Cf. « Note complémentaire sur l’humanisme réel » in Pour Marx, notamment p. 258.

[60]. « Faut-il jeter l’individu avec le sujet ? (L’individualité chez Althusser)», 2007, en ligne sur le site du séminaire « Marx au XXIe siècle » url : http://semimarx.free.fr/article.php3?id_article=85.

[61]. « Le développement des individus en individus complets », Idéologie allemande, I. Feuerbach (fin), édition sociales 1976, p. 72 ; Marx Engels Werke, Dietz Verlag, Berlin, 1969, T. III p. 68.

[62]. Capital I, Ch. XV, section IX, (trad. J. Roy, Paris, GF, 1969 p. 350). On reconnaît des ces « fonctions alternées » le chasseur berger critique de l’Idéologie allemande : I, Feuerbach (fin), édition sociales 1976, p. 32/33.